Flûte ! Vous étiez pourtant sûr d’avoir ramassé la bouteille d’eau en remballant le pique-nique avant de quitter la plage. Votre morceau écolo de cerveau vous taraude, certes. Mais vous êtes déjà sur le parking. Il y a du vent. Les enfants sont crevés. Vous avez du sable plein les chaussettes. Vous renoncez, un peu honteux, à faire demi-tour pour récupérer le cadavre en plastoc. Vous venez, sans le savoir, de créer les bases d’une flottille de combat d’un genre très particulier.
Il y a en effet des chances pour que, dans quelques années, les microdébris issus de la dégradation de votre bouteille d’eau aient été transportés par les courants océaniques à l’autre bout du globe. Et il y a également des chances qu’ils aient embarqué, dans cette odyssée, des fantassins biologiques prêts à débarquer sans ménagement sur le continent d’en face. On commence à savoir que, depuis plusieurs décennies, la mer est une poubelle dynamique, transportant des flux de déchets flottant sur de très longues distances. Ceux-ci naviguent, au gré des courants, jusqu’à l’un des cinq gyres océaniques du globe, de gigantesques tourbillons d’eau de surface, au nord et au sud de l’Atlantique et du Pacifique, ainsi que dans l’océan Indien, qui les redistribuent dans toutes les directions. Mais les scientifiques se penchent aujourd’hui très sérieusement sur les espèces étrangères susceptibles d’être transportées à l’œil par ces miniradeaux.
Un paradis pour punaises de mer
Depuis les récents travaux publiés par l’ONG 5 Gyres, auxquels ont été associés l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer), on peut désormais les comparer à une armada. En analysant les données issues de 24 campagnes océanographiques réalisées ces six dernières années, et en les modélisant, les chercheurs ont pu établir que 5 250 milliards de particules, correspondant à près de 170 000 tonnes de plastique, se baladent ainsi sur toutes les mers du globe, sans exception. « Ces particules peuvent constituer autant de vecteurs pour des organismes : le potentiel de diffusion est énorme », explique François Galgani, de l’Ifremer, qui se consacre à la question de la pollution plastique depuis le début des années 1980. Les plus gros fragments transporteront de gros voyageurs. « Le tsunami de mars 2011 au Japon a mis à l’eau des millions de tonnes de déchets qui sont arrivés jusque sur les côtes canadiennes : on a retrouvé sur un morceau de polyester de quelques mètres jusqu’à 54 espèces nouvelles pour la zone, explique François Galgani. Certaines ne survivront pas, mais d’autres profiteront de sites qui leur conviennent bien ! »
Et les envahisseurs ont tout leur temps. Car le plastique, c’est fantastique : il lui faut entre cent et mille ans pour être totalement dégradé. Ainsi, au beau milieu du Pacifique Nord, une soupe de fragments appelée parfois le « Septième continent », est devenu l’eldorado d’une punaise de mer, l’Halobates sericeus, dite « patineuse ». Ces récifs artificiels lui ont fourni un terrain solide inespéré au milieu des mers pour y pondre tout en se nourrissant allègrement du phytoplancton et des œufs de poissons environnants. Sur son continent perdu, résistant à l’eau de mer et aux UV pour des lustres, Halobates pullule, au risque de déstabiliser toute la chaîne alimentaire de la région. En Méditerranée, une mer fermée, les 250 milliards de fragments de plastique qui se promènent ont favorisé le déplacement des foraminifères. Cet organisme unicellulaire qui vit habituellement au fond s’est fait une joie de remonter vers les eaux de surface, accroché comme une moule à ses flotteurs.
Sur les déchets, les bactéries du choléra
Mais le monde foisonnant du micro-déchet plastique est également riche d’une autre sorte de bébête : les bactéries. Laissez une salmonelle isolée s’échapper d’une station d’épuration et larguez-la en pleine mer, elle n’aura que quelques heures de survie devant elle. Mais permettez donc à un petit groupe de bactéries de s’accrocher les unes aux autres sur un îlot de plastique et c’est Byzance ! Une équipe de recherche de la Woods Hole Oceanographic Institution a passé au microscope des débris de moins d’un millimètre pêchés en différents point de la gyre de l’Atlantique Nord. Une riche vie microbienne est alors apparue, certain débris abritant plus de mille espèces à eux seuls.
Sur cet écosystème microbien baptisé « platisphère » régnaient en maîtres des bactéries du genre Vibrio, famille célèbre pour être responsable du choléra. Celles-ci ne risquaient pas de mourir de faim puisque les chercheurs ont montré qu’elle se nourrissaient probablement du plastique lui-même ! Pour l’instant, pas de panique : vous n’êtes pas obligé de brûler vos maillots de bain. Mais la question préoccupe les scientifiques qui commencent à peine à l’étudier. « Le risque envisagé aujourd’hui, c’est que des bactéries pathogènes finissent par atterrir dans une zone du monde où elles déclencheront une épidémie, dans l’aquaculture, par exemple », explique François Galgani.
Plastique oxo-dégradable, une solution ?
Bonne nouvelle ! Puisque les bactéries se régalent du plastique, elles pourraient paradoxalement faire partie de la solution. « L’eau de mer en est remplie. On en compte jusqu’à 100 millions, de mille espèces différentes dans un litre d’eau de mer. Elles ont besoin de matière organique pour se nourrir et sont capable de manger du pétrole, donc du plastique : les bactéries sont un peu les éboueurs de l’océan ! », lance Jean-François Ghiglione, chercheur du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) à l’observatoire océanographique de Banyuls-sur-mer (Pyrénées-Orientales). Ce spécialiste de la question, qui a participé à l’expédition Tara en Méditerranée l’été dernier, reste néanmoins les pieds sur terre. « Une bouteille, c’est trop gros pour elles…, suggère-t-il. Il faut que l’objet ait déjà été réduit à l’état de fragment pour qu’elles puissent réellement s’y attaquer. » La recherche s’intéresse ainsi aux plastiques oxo-dégradables, c’est-à-dire enrichis en additifs qui accélèrent la fragmentation et fournissent l’oxygène nécessaire aux bactéries qui auront envie de le dévorer. Mais aux yeux du chercheur, ces innovations resteront marginales. Pour éviter les grandes colonisations, une seule solution : impérativement ramasser la bouteille du pique-nique et couper ainsi les vivres aux continents de plastique.
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