Vieillesse rime peut-être avec sagesse, mais va aussi de plus en plus de pair avec dépendance. D’après les projections de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), la France comptera 1 200 000 personnes en perte d’autonomie (personnes âgées et handicapées qui ne sont plus capables de vivre sans aide extérieure) en 2030, soit 400 000 de plus qu’aujourd’hui. La raison ? Le vieillissement de la population et l’allongement de l’espérance de vie, qui fait qu’un certain nombre d’entre nous soufflera ses cent printemps.
A ces âges honorables, tous les papis mamies ne sont plus très fringants. Aujourd’hui, on estime que 20% des plus de 85 ans sont en perte d’autonomie. Ces personnes doivent être soutenues dans leurs gestes quotidiens par une ou plusieurs aides à domicile. A défaut, elles doivent quitter leur maison et trouver une place en Ehpad, établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.
Une prise en charge coûteuse
Mais tout cela coûte cher, très cher. Actuellement, on estime à 22 milliards d’euros par an les dépenses consacrées à la dépendance, concentrées sur les plus de 85 ans. Avec le vieillissement, des projections tablent sur un besoin accru de 10 milliards d’euros par an dans les quinze ans.
Les recherches de nouveaux financements ont abouti, en 2004 (après la canicule de 2003 qui a fait près de 15 000 morts et qui avait mis au jour les insuffisances de l’accompagnement des personnes âgées en France) à la création d’une journée de solidarité par le gouvernement Raffarin.
« La journée de solidarité, qui consiste en une journée de travail supplémentaire, est destinée au financement d’actions en faveur de l’autonomie des personnes âgées ou handicapées. Cette journée ne donne en principe pas lieu à rémunération supplémentaire », précise le site du ministère du Travail.
Tout travail mérite salaire... sauf ce jour-là
Les salariés (les professions libérales sont dispensées de cette mesure) travaillent donc très officiellement gratuitement sept heures par an, selon des modalités fixées par ou avec leur employeur. Et pas nécessairement le lundi de Pentecôte, comme cela était censé être le cas à l’origine (voir encadré).
« Le lundi de Pentecôte, journée de solidarité ? Tout le monde l’a oublié », confirme à sa manière Henri Sterdyniak, directeur du département économie de la mondialisation de l’Observatoire français des conjonctures économiques.
En contrepartie de cette journée non payée, les employeurs, publics et privés, versent une contribution de 0,3% de la masse salariale. « Ce montant correspond au surcroît de valeur ajoutée d’un jour de travail », peut-on lire sur le site de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA).
C’est par l’intermédiaire de la CNSA que le produit de la « contribution de solidarité pour l’autonomie » (le fruit de la journée de solidarité) est affecté chaque année au financement des dispositifs individuels (l’allocation personnalisée d’autonomie ou APA) et collectifs (financement des établissements) de la perte d’autonomie.
Un dispositif qui évite le recours aux assurances privées
Henri Sterdyniak salue l’originalité du dispositif visant à faire porter le poids du financement de la dépendance sur les employés, sans que cela ne coûte à leur patron. Cette mesure pourrait servir de base à la reconnaissance, courant 2013 d’après l’économiste, de la dépendance comme cinquième champ de la protection sociale, aux côtés des branches maladie, famille, accidents du travail et retraites.
Il voit également en ce dispositif le moyen d’éviter le recours aux assurances privées pour financer sa possible perte d’autonomie future. Cependant, il estime qu’« en situation de chômage et de manque de demande, il n’est pas pertinent d’exiger des salariés qu’ils travaillent davantage. Le but serait plutôt de faire travailler plus de gens ».
Personnes âgées et handicapées : à chacun sa part
Si la journée de solidarité a permis de récolter 2,33 milliards d’euros l’an dernier, et plus de 15 milliards d’euros entre 2005 et 2011, on est encore loin des 10 milliards supplémentaires à trouver chaque année pour faire face aux besoins.
La somme recueillie est divisée en deux parties non égales. 60%, soit 1,4 milliard d’euros, sont revenus en 2011 aux personnes âgées : 38% pour le financement des établissements et services, 20% (soit 466 millions d’euros) pour l’allocation personnalisée d’autonomie, distribuée par les conseils généraux et 2% pour un plan d’aide à l’investissement dans les structures accueillant des personnes âgées.
Les 40% restants - 933 millions d’euros - ont été utilisés pour subvenir aux besoins des personnes handicapées (prestation de compensation du handicap et financement des établissements d’accueil).
Une solidarité qui fait polémique sur la forme, pas sur le fond
Comme chaque année, la polémique autour du principe de cette journée ou l’utilisation des fonds récoltés a refait surface. Pour l’AD-PA, l’association des directeurs au service des personnes âgées, près de 2,5 milliards d’euros depuis 2005, dont 230 millions d’euros en 2011, « n’ont pas été dépensés comme prévu ». « Ils ont été repris des budgets de la CNSA par l’Etat » qui les a affectés au colmatage du trou de la Sécu, explique l’association dans un communiqué. « Parallèlement, on a obligé les établissements et services à domicile à diminuer leur nombre de salariés en leur retirant 120 millions d’euros », poursuit-elle.
En avril, le gouvernement de François Fillon avait reconnu que près de 225 millions d’euros de crédits destinés aux personnes âgées n’avaient pas été dépensés en 2011. Un excédent qu’il expliquait par des « retards dans l’installation de places nouvelles » d’accueil.
Des fonds détournés, dont les personnes dépendantes auraient besoin
« Pourquoi ces fonds n’ont-ils pas servi, alors que le montant de l’APA (en moyenne 482 euros mensuels versés à 1,2 million de personnes dépendantes, ndlr) est nettement insuffisant face aux coûts croissants des aides à domicile et de l’accueil en Ehpad, qui est de 2 200 euros par mois en moyenne ? C’est bien plus que le montant moyen de la retraite. Vous avez donc aujourd’hui des personnes qui sont obligées de se démunir de leurs biens et de dilapider l’héritage qu’elles comptaient laisser pour financer leur perte d’autonomie, alors qu’il reste des sous dans les caisses. C’est grotesque ! », tempête Joëlle Le Gall, présidente de la Fnapaef, la Fédération nationale des associations de personnes âgées et de leurs familles.
Une « corvée »
De son côté, la CFTC a écrit au ministre du Travail Michel Sapin pour dénoncer une mesure « injuste vis-à-vis des salariés et de leur famille ». Le syndicat s’y redit favorable au « principe de solidarité nationale pour la prise en charge des personnes dépendantes », en prélevant par exemple 0,3% du salaire tous les mois. Mais « obliger des salariés à travailler sans contrepartie de rémunération porte un nom dans notre pays, c’est la corvée ». Et de souligner « des aberrations économiques et sociales », comme le fait de contraindre des salariés régulièrement placés en chômage technique (comme dans le secteur de l’automobile) à venir travailler gratuitement une journée. La CFTC rappelle au passage que François Hollande et Jean-Marc Ayrault, alors tous deux députés, lui avaient fait part de leur opposition à cette journée de solidarité...
Pour Charlotte Brun, secrétaire nationale du Parti socialiste aux personnes âgées, handicap et dépendance, « la journée de solidarité est insatisfaisante par de nombreux aspects, notamment celui du détournement des recettes, et il y a une attente très forte du secteur pour des mesures claires et fortes, qui ne se résument pas à cette simple journée ». Elle rappelle l’engagement de campagne de François Hollande de « faire évoluer, avec les partenaires, la prise en charge solidaire de la perte d’autonomie » et rejette toute idée de création d’une deuxième journée de solidarité, comme cela avait été un temps avancé par le gouvernement Fillon.
Michèle Delaunay, la nouvelle ministre déléguée aux personnes âgées et à la dépendance, doit dessiner les grandes lignes de sa politique de prise en charge de la dépendance dans les semaines qui viennent.
Un jour fixé « à la carte »
La date de cette journée de solidarité est normalement déterminée par un accord collectif de travail. Initialement, elle était fixée au lundi de Pentecôte. Mais une loi du 16 avril 2008 a mis fin à cette règle. Aujourd’hui, les salariés peuvent travailler n’importe quel jour férié normalement chômé dans l’entreprise (y compris le lundi de Pentecôte), à l’exception du 1er mai. Ils peuvent aussi voir leur nombre de RTT amputé d’une journée ou encore travailler 7 heures de plus, réparties sur plusieurs jours de travail au cours de l’année. Désormais, la plupart des accords d’entreprise prévoient la suppression d’un jour de RTT.
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