Le débat sur la transition énergétique s’est ouvert ce jeudi dans une ambiance électrique. Industriels et ONG, réunis autour du gouvernement, sont sur leurs gardes. Les premiers craignent que les autorités ne se laissent influencer par des activistes verts dont le but serait de mettre en péril leur compétitivité, quand les seconds pointent déjà du doigt le poids des lobbies industriels, nécessairement à rebours de ce qu’il conviendrait de faire...
A Terra eco, on leur a trouvé un terrain d’entente pour les six mois à venir : concilier transition énergétique – nécessaire alors que les ressources en pétrole et en gaz se tarissent à vue d’œil – et intérêts économiques, c’est possible !
La question économique avant tout
« La question de la transition énergétique est née d’une préoccupation environnementale forte », explique Marc Jedliczka, de l’association Négawatt et coauteur d’un Manifeste pour réussir la transition énergétique publié en début d’année. « Mais aujourd’hui, c’est bien la question économique qui prime », poursuit-il.
François Hollande s’est engagé à alléger le poids du nucléaire grâce aux énergies renouvelables et à baisser la consommation d’électricité, notamment en réhabilitant et en isolant thermiquement les bâtiments. Mais les défenseurs du nucléaire – parmi eux, Anne Lauvergeon, l’ex-pédégée d’Areva membre du comité de pilotage du débat – font valoir que le prix du nucléaire est moins élevé que celui des énergies renouvelables.
Regarder sur le moyen ou long terme
« A court terme, le nucléaire paraît plus compétitif que les énergies renouvelables, reconnaît Alain Grandjean, économiste qui dirige le comité d’experts du débat sur la transition. Mais si l’on raisonne à long terme, qui est le temps de la transition, il faut tenir compte à la fois des emplois créés et de la baisse des émissions de gaz à effet de serre liés au développement des énergies vertes, et les mettre en rapport avec le coût croissant du nucléaire », en raison notamment d’un parc de 58 centrales vieillissant qu’il faudra bien fermer puis démanteler.
« Il n’y a qu’à regarder dès aujourd’hui les tarifs d’achat de l’électricité produite par les EPR (de troisième génération, ndlr), s’exclame Marc Jedliczka. Ils atteignent de 12 à 15 centimes d’euros le kWh quand l’éolien plafonne à 8 centimes ! »
Une hausse des coûts qui touche également le pétrole et le gaz, énergies fossiles en voie de disparition. On en importe aujourd’hui quelque 60 milliards d’euros par an, ce qui représente 90% du déficit de notre balance commerciale. Développer, sur le territoire français, des alternatives à ces énergies aura pour conséquence de réduire le déficit mais aussi de baisser les revenus des entreprises du secteur.
Prendre en compte les « externalités positives »
« Bien sûr, si l’on se place d’un point de vue microéconomique, il y aura quelques perdants – les gens qui travaillent dans ces énergies carbonées. Mais d’un point de vue macroéconomique, les bénéficiaires seront nombreux », explique Alain Grandjean. Il ne voit par ailleurs « que des avantages à la rénovation des bâtiments et à l’isolation thermique des logements : création d’emplois non délocalisables, réduction de la facture extérieure de la France en matière d’énergies fossiles, réduction de la facture énergétique des ménages, etc. » Autant d’« externalités positives » – pour reprendre le jargon économique – à garder à l’esprit quand on calcule le coût de la transition énergétique.
« Donc si on dit que la transition énergétique va représenter un gros investissement, il faut aussi considérer le retour sur investissement », poursuit Alain Grandjean. Par exemple, aider les personnes âgées à isoler leur maison - via un prêt à des taux très bas pour leur permettre d’isoler leur logement sans se ruiner -, représentera un bénéfice médical et social non négligeable. « Il faut intégrer dans les calculs d’action publique les bénéfices de cette action, en plus de ses coûts. »
Une solution au chômage de masse ?
Une opération à laquelle s’adonne ces temps-ci Négawatt qui devrait livrer les résultats de ses calculs en début d’année prochaine. L’association a cependant déjà évalué à 13 milliards d’euros le montant de l’investissement de départ nécessaire pour rénover les habitations. Une rondelette somme à mettre en parallèle avec « les 600 000 emplois par an créés dans ce secteur pendant quarante ans », pointe Marc Jedliczka.
Que du bénéf, la transition ? D’un point de vue macroéconomique, il semblerait bien que oui. Pour Alain Grandjean, c’est même une condition sine qua non pour que le monde continue à vivre en (relative) bonne entente. « Si l’on considère que le changement climatique va nous exposer à des éléments extrêmes, et que les ressources énergétiques vont s’épuiser, on peut s’attendre à des tensions sur les ressources. Anticiper une transition énergétique vers une énergie écologique nous garantit la paix et moins de catastrophes. Maintenant, peut-on chiffrer les bénéfices de la paix ? Pendant la Seconde guerre mondiale, les résistants ne se sont pas posé ce genre de questions. Ils ne se sont pas demandé combien de pertes ils allaient essuyer. Ils se sont juste dit : “Allons-y !” »
Affichage : Voir tout | Réduire les discussions