Sabine Buis est députée de l’Ardèche (PS) et Arnaud Gossement est avocat en droit de l’environnement
Depuis plusieurs jours, l’hypothèse d’un report de quelques jours de la présentation du projet de loi de transition énergétique au Conseil des ministres, suscite une controverse étonnante. Laquelle révèle, pour nous, l’organisation d’une opposition hétéroclite au projet de loi de transition énergétique, avant même qu’il ne soit lu. Nous devons pourtant laisser sa chance au débat parlementaire qui va s’ouvrir.
Tempête dans un verre d’eau
L’information aurait pu et dû passer inaperçue : Ségolène Royal, ministre de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie, ne présentera pas, en Conseil des ministres, sa communication sur le projet de loi relatif à la transition énergétique, le 11 mais le 18 juin. Matignon pour sa part n’a pas annoncé de report mais confirmé un calendrier, inchangé depuis deux mois : le projet de loi sera discuté de la rentrée 2014 à l’automne 2015. Où est l’information ? Où est le scandale ? Nulle part. Mais certains, pour des motifs différents, ont voulu y voir la preuve que l’Etat reculait. Que « l’une des lois les plus importantes du quinquennat », selon les termes du chef de l’Etat lui-même, ne cesserait pas de glisser à l’agenda. Que l’ambition écologique du gouvernement était définitivement morte. Peu importe que Ségolène Royal soit montée au créneau pour rassurer, pour rappeler que le Parlement serait saisi du texte dès le mois de juillet prochain… Voyez ! Rien ne changera ! La transition énergétique ne se fera pas ! Cette chronique d’un échec annoncé révèle le soulagement ou le secret espoir de certains éditorialistes que cette loi soit mauvaise, qu’elle ne change rien, qu’elle permette encore de tenir la chronique de l’impuissance du politique. Pourvu que le projet de loi soit creux ! Pourvu que Ségolène Royal n’y arrive pas ! Pourvu que les lobbys se déchaînent ! Cette sinistrose entretenue est aussi inutile que pénible. La transition énergétique mérite mieux qu’un mauvais feuilleton. Car pendant, ce temps, des choses bien plus graves se jouent au-dessus de nos têtes et obèrent jusqu’à une possibilité d’existence humaine sur Terre.
Une opposition hétéroclite
Cette controverse sur le report de la loi a cependant un intérêt : elle révèle une alliance de circonstance, même inconsciente, entre des acteurs aux motivations éloignées mais qui peuvent se retrouver sur une opposition à un texte, déjà condamné avant même d’être lu. Quelques écologistes, peu nombreux, se rassureront peut-être sur leur choix d’avoir quitté le gouvernement car les secousses de cette loi confirment leur diagnostic : ce gouvernement ne sera jamais vert. L’opposition, oublieuse de ce que Jean-Louis Borloo avait réussi à créer et entraîner lors du Grenelle, pourra également se rassurer : la transition énergétique ne se fera pas. De droite à gauche, les gardiens du temple énergétique seront également rassurés : leur goût du sur place ne sera pas gâché par cette transition avant longtemps.
Nous resterons dépendants d’un centralisme énergétique à bout de souffle, de nos exportations d’hydrocarbures, de notre dépendance à l’uranium. Seuls pourront nous faire rêver l’eldorado en carton-pâte des gaz de schiste ou une énième génération de réacteurs nucléaires. Pour des motifs divers et parfois opposés, une coalition d’opposants se forme. Le gouvernement n’y a-t-il aucune responsabilité ? Si, bien sûr. Deux années avaient été nécessaires pour écrire dans la loi « Grenelle 1 » les engagements du Grenelle et trois années pour les traduire en outils dans la loi « Grenelle 2 ». L’exécutif prétend depuis trop longtemps que la loi peut être votée à toute vitesse sans perdre en autorité et en qualité. Le débat démocratique prend du temps. C’est ainsi. Et pendant ce temps, la société avance malgré tout. Il était inutile de promettre une loi dans les meilleurs délais. Le temps médiatique ne peut pas être le temps de la transition énergétique.
Pour un débat honnête
Soyons précis : notre propos n’est pas de défendre par avance un texte mais de lui laisser sa chance. Comment ? En engageant un débat honnête. Lequel doit déborder les hémicycles du Sénat et de l’Assemblée nationale pour mobiliser la France entière.
L’honnêteté commande tout d’abord, avant que ne soit dévoilé le projet de loi, de souligner qu’il ne fera pas à lui seul le printemps de la transition énergétique. Certes, le chef de l’Etat a suscité une attente forte en s’engageant très fortement sur ce texte. Certes, l’attente est d’autant plus forte que le texte était attendu pour juin 2013. Et plus l’attente est forte, plus le risque de déception l’est également. Pourtant, la transition énergétique n’a pas attendu cette loi et cette loi ne sera que l’un des leviers – pas le seul – pour faire évoluer notre modèle de production et de consommation d’énergie.
En deuxième lieu un débat honnête suppose que chaque acteur, partisan ou opposant à une sortie du nucléaire, accepte que le débat parlementaire ne soit pas un match de football. Comme pour la loi Grenelle 1 du 3 août 2009, il est des moments de son histoire où la nation doit se retrouver par-delà ses clivages habituels pour rechercher, non la victoire d’un camp ou d’une équipe, non la victoire d’une majorité ou d’une minorité mais celle de l’intérêt général. La recherche de l’intérêt général suppose le dialogue, elle suppose aussi d’accepter la complexité. En matière nucléaire, le rapport de la Commission parlementaire d’enquête sur les coûts du nucléaire, présenté ce 10 juin, a ceci de très intéressant qu’il représente une cartographie fort utile du consensus politique possible sur un sujet aussi passionnel que l’atome. Et sur ce point, le débat national sur la transition énergétique a beaucoup apporté : il a révélé qu’il n’existe plus aucun dogme tenable en matière d’énergie.
En troisième lieu, un débat honnête suppose que chaque participant, parlementaire ou non, fixe par avance les critères qui lui permettront de juger la loi, telle qu’issue des travaux au Parlement. Ces critères sont, en réalité, assez simples à définir, délicats à réaliser. L’enjeu, on le sait, est de répondre dans le même temps, à une crise qui est tout autant écologique, économique que sociale. L’enjeu est de forger les outils au sein des codes de l’énergie, de l’environnement et de l’urbanisme qui permettent à la France de respecter des objectifs chiffrés et précis, déjà inscrits dans le projet de loi : réduction des rejets de gaz à effets de serre de 40 % en 2030 par rapport à 1990, réduction de la consommation énergétique finale de 50% en 2050 par rapport à 2012, réduction de la consommation des énergies fossiles de 30 % en 2030 par rapport à 2012, part des énergies renouvelables de 32 % en 2030 dans la consommation finale d’énergie, de 40 % en 2030 dans la production d’électricité, part du nucléaire dans la consommation finale d’électricité de 50 % à horizon 2025. Par ailleurs, l’enjeu est bien de comprendre qu’attendre le retour de la croissance du PIB ne suffit plus. L’enjeu est d’agir, sans oublier notre engagement européen. Réduire nos émissions de gaz à effet de serre, réduire notre dépendance aux énergies fossiles, arrêter la pollution de notre environnement, lutter contre la précarité énergétique des ménages les plus modestes, diversifier et décentraliser des sources d’énergies propres et des réseaux intelligents : autant de possibilités d’actions, de libertés nouvelles, de perspectives de prospérité.
En dernier lieu, un débat honnête suppose que chaque groupe d’intérêt, chaque partie prenante sorte d’une contradiction fondamentale : dénoncer le trop plein du droit tout en réclamant sans cesse plus de droit. La loi sur la transition énergétique devra éviter l’écueil de la loi « Grenelle 2 » : ensevelir les entreprises et les collectivités territoriales sous des couches de nouvelles obligations, des strates de nouvelles normes, des tonnes de décrets. Une bonne loi ne se juge pas au poids et doit se garder de vouloir tout prévoir. La qualité de la loi suppose que le Parlement ait les moyens de travailler : l’examen du texte par une commission élargie démontrera la volonté du gouvernement de lier les questions d’écologie et l’énergie. En conclusion, la transition énergétique mérite mieux que des commentaires partisans sur des petites histoires politiciennes. Nous sommes face à un rendez-vous crucial que nous ne pouvons pas manquer, quelles que soient nos opinions. Au risque de nous répéter : laissons sa chance au débat qui s’ouvre. Une occasion de faire de la politique autrement.
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