Marion Eberschweiler a entamé son jeûne après deux ans de maladie digestive pour « repartir à zéro », sur les conseils d’une amie. « Je ne pensais pas tenir une journée entière ! J’ai donc été surprise de me sentir si bien et de tenir jusqu’à sept jours », raconte-elle. Thierry Butzbach, lui, jeûne deux fois par an depuis plusieurs années, histoire de « laisser son organisme au repos ». Difficile de savoir combien de Français décident, comme eux, de zapper les repas pendant une semaine ou plus pour faire du bien à leur corps. « Il s’agit d’un vrai phénomène de société », souligne Juliette Gueguen, médecin méthodologiste à l’Inserm. En 2014, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale a même planché sur le sujet à la demande du ministère de la Santé. Car pour les autorités, le corps médical et les mangeurs, le jeûne, hors croyances religieuses ou contraintes sanitaires, soulève beaucoup de questions.
- Nouveau ? FAUX
Sans mauvais jeu de mot, le jeûne n’a rien de neuf. « Dans l’Antiquité déjà, Hippocrate recommandait le jeûne, Socrate le pratiquait régulièrement », écrivent Juliette Gueguen et ses trois coauteurs dans le rapport rédigé pour l’Inserm. Sans remonter aussi loin, certains de nos voisins européens ont reconnu ses vertus. Depuis les années 1980, le jeûne fait ainsi partie de la politique de santé publique russe. Sans être aussi institutionnalisé (et donc remboursé), il est aussi largement pratiqué en Allemagne, dans des cliniques spécialisées.
En France, Jean-Pascal David, gérant de la Maison du jeûne, affiliée à la Fédération jeûne et randonnée, se souvient surtout d’une pratique discrète, presque honteuse jusqu’à ces dernières années. « Beaucoup de gens jeûnaient depuis longtemps, mais personne ne le disait. Les choses se faisaient en secret, estime t-il. Et puis le documentaire de Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade, diffusé en 2012 (Le jeûne, une nouvelle thérapie, ndlr) a eu un succès phénoménal. Les gens n’ont plus eu peur de passer pour des fous en disant qu’ils jeûnaient, ce qui a incité pas mal de monde à essayer. »
Aucune statistique ne permet de savoir combien de Français ont tenté l’expérience. D’abord parce que la Fédération jeûne et randonnée ne regroupe qu’une trentaine d’organisateurs sur… beaucoup ! Ensuite parce que certains, comme Marion ou Thierry, jeûnent en solitaire, en dehors des séjours organisés. « A notre échelle, on voit déjà l’explosion, soutient Jean-Pascal David. En deux mois, j’ai dû refuser une centaine de personnes car tous mes stages sont complets. »
- Simple comme arrêter de manger ? FAUX
Payer pour arrêter de manger au sein d’un centre ou d’une clinique allemande ou espagnole, cela en fait sourire plus d’un. En réalité, jeûner ne se résume pas à bouder son assiette. Certains optent pour le jeûne total, sans aliments (et parfois même sans eau). D’autres jeûnent un jour sur deux ou en continu en s’accordant quelques bouillons et jus de légumes, selon la méthode allemande dite de Buchinger, très répandue en France. En ce qui concerne la conduite à adopter durant la cure, là aussi plusieurs paroisses s’affrontent. Là ou certains préconisent le repos total, d’autres maintiennent une activité soutenue pour accélérer l’effet détox.
Reste un point sur lequel les jeûneurs semblent s’accorder : l’entrée et la sortie de jeûne doivent être progressives. « J’ai choisi de faire mon huitième jour à l’eau de coco riche en minéraux et oligo-élements, le neuvième jour aux jus verts puis une journée aux smoothies avant de repasser aux solides et de continuer à manger léger les jours suivants, raconte Marion Eberschweiler, qui a perdu 6 kg en une semaine, en restant active et en faisant un peu de marche. » Thierry Butzbach se souvient, lui, d’une de ses erreurs de débutant. « Une fois, je suis sorti de mon jeûne avec du fromage et du vin rouge. J’ai été malade, c’était atroce. »
- Contre-nature ? FAUX
Aussi improbable que cela puisse paraître, ce sont les manchots qui ont permis à l’homme de comprendre comment il pouvait jeûner. Dans les années 1970, Yvon le Maho, écophysiologiste et directeur de recherches au CNRS (Centre national de la recherche scientifique), part en mission en Terre-Adélie. Il observe alors des manchots mâles de 40 kg jeûner pendant les quatre mois d’incubation de leurs œufs en attendant le retour de la femelle. « On s’est dit que le manchot devait avoir quelque chose en plus pour jeûner aussi longtemps, raconte-il aujourd’hui. Et puis, au fil de nos recherches, nous nous sommes rendu compte que nous avions, nous aussi, une capacité à modifier notre métabolisme pour préserver notre stock de protéines. »
Depuis, le chercheur s’est prêté au jeûne et ne s’est « jamais aussi bien senti qu’après huit ou dix jours sans manger ». Après vingt-quatre heures de diète, quand le glycogène apporté par les repas a été épuisé, le jeûneur pompe dans ses protéines pour fabriquer du glucose. Puis, après quatre ou cinq jours, il met en place un mécanisme d’économie, comme le manchot. « C’est la période la plus dure à passer, parce que l’organisme commence a puiser dans ses réserves. Dès lors, 96% des dépenses d’énergie viennent des lipides et seulement 4% des protéines, contre 80% et 20% d’ordinaire. C’est ce qui permet à l’homme de tenir. » Combien de temps ? « Tout dépend du physique de la personne. Quand les protéines sont épuisées, c’est la mort. Mais il y a ce que l’on appelle un signal de réalimentation. Après trente ou quarante jours, l’homme va être tiraillé par la faim. Cela signifie que le jeûne doit cesser. »
- Dangereux ? VRAI et FAUX
En France, le jeûne se pratique essentiellement dans les milieux hygiéniste ou naturopathe, sans contrôle ni encadrement. Dans son rapport de 2009, la mission interministérielle de vigilance et de luttes contre les dérives sectaires (Miviludes) s’inquiétait. « La promotion des régimes restrictifs et du jeûne alimentaire dans la mouvance des thérapies non conventionnelles est préoccupante, écrivait-elle alors. Elle fait courir à ceux qui s’y adonnent des risques majeurs. » Depuis, plus rien.
Résultat, un internaute qui cherche un endroit où jeûner à plusieurs se verra proposer une multitude de séjours. « Certains organisateurs de jeûnes n’ont même parfois jamais jeûné, soutient Jean-Pascal David. C’est parce que l’on voyait les offres se multiplier que nous avons décidé de nous réunir autour d’une charte de qualité. Malheureusement, on ne peut rien contre ceux qui n’y voient qu’un business. Il n’y a jamais eu d’accident et c’est peu probable sur des durées courtes mais il est vrai que quelques contrôles ne feraient pas de mal. »
- Thérapeutique ? JOKER
Se sentir neuf, revivre, rajeunir… Les commentaires des jeûneurs sont élogieux, mais arrêter de s’alimenter a-t-il de réelles vertus thérapeutiques ? C’est la question à laquelle Jérôme Lemar, un docteur en médecine, a tenté de répondre en 2011 dans sa thèse de fin d’études, L’appellation « jeûne thérapeutique » est-elle fondée ou usurpée ? Après avoir passé en revue l’ensemble des travaux disponibles, le doctorant se voit contraint de conclure : « La lecture critique de ces articles a donné des résultats parfois intéressants, souvent contrastés et de faible niveau de preuve à court terme, et des résultats majoritairement manquants à long terme. (…) Enfin, les bénéfices réels liés à ces pratiques sont restés à l’image de leurs mécanismes d’action, inconnus, imprécis et hypothétiques. »
A l’Inserm, Juliette Gueguen partage ce constat. Les bienfaits du jeûne sont difficiles à évaluer. D’abord parce que la France accorde peu de crédit aux médecines complémentaires. Ensuite parce que les études butent sur des problèmes méthodologiques. « Le jeûne est extrêmement lié à la volonté, il relève d’une conviction intime. Dès lors, difficile de tirer au sort les jeûneurs sans susciter des frustrations, selon que la personne choisie y croit ou pas. Nous sommes aussi confrontés à un biais d’évaluation. Lors des essais cliniques, les patients ne savent pas quels traitements ils suivent, pour que leurs croyances n’interfèrent pas dans les résultats. Avec le jeûne, c’est impossible. Enfin, il y a aussi la difficulté à réaliser des mesures objectives. Le jeûne peut ne pas avoir vocation à faire disparaître des symptômes mais à se sentir mieux de manière générale, ce qui, d’un point de vue clinique, est assez compliqué à mesurer. » Résultat des courses : la médecine s’intéresse de loin à la pratique et les rares chercheurs qui lui accordent quelques vertus – pour alléger les effets indésirables d’une chimiothérapie, par exemple – peinent à décrocher des financements. Et Juliette Gueguen de conclure : « Il existe un fossé entre les données issues de la recherche en milieu médical, hors France, et la pratique du jeûne que les gens peuvent adopter dans des contextes différents. »
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