« La France risque de réagir trop tard à un drame sanitaire ». Michel Debout, psychiatre et président de l’association France prévention suicide, est très inquiet. Deux ans après le début de la crise économique, aucune données récente sur le nombre de morts par suicide en France n’est disponible, les derniers chiffres datant de 2008 (avant le début de la crise, donc).
Le professeur Rouillon, président du conseil scientifique de la Fondation pour la recherche en psychiatrie et en santé mentale, confirme : « Scientifiquement, nous ne sommes pas aujourd’hui en mesure établir le moindre lien de causalité entre la situation économique et l’évolution du nombre de suicides ». Ce qui rend beaucoup plus complexe la prévention, dénonce Michel Debout. « Nous ne pourrons mesurer clairement l’ampleur de la tâche à mener et les publics visés que lorsqu’on nous aurons des données chiffrées. Malheureusement, elles ont toujours trois à quatre années de retard ».
Cascade d’événements
Pourtant, les signes avant-coureurs d’une dégradation sont nombreux selon les associations. Les lignes d’écoute assurent par exemple que le nombre d’appels a augmenté, même si celles-ci n’ont à l’heure actuelle aucune données à jour.De plus, les premières données disponibles dans le monde depuis 2008 indiquent que les chocs économiques ont des effets psychologiques très néfastes à l’échelle des populations. « Ce n’est pas le chômage en tant que tel qui est en facteur de suicide, mais la violence des crises et la cascade d’événements qui suivent : vous perdez vos amis, vous vivez une sorte de déchéance sociale en perdant le travail qui est très structurant socialement », analyse le Pr Rouillon.
Médecine du chômage ?
Une population inquiète particulièrement les chercheurs : « les personnes en détresse psychologiques sont beaucoup moins intégrées et moins prises en charge en temps de crise », note le professeur. Il se souvient : « Il y a trente ans, lorsqu’il y avait moins de chômage, les malades schizophrènes que je soignais parvenaient à trouver du travail, même précaire, pour rester intégrés. Quand la situation économique se dégrade, comme aujourd’hui, ces emplois sont pris par des personnes plus qualifiées. » Et les personnes fragiles qui perdent leur emploi sont alors plus exposéesLa solution serait d’assurer un suivi médical pendant les quelques mois suivant la perte de l’emploi, estime Michel Debout. « Quand on a un emploi, on bénéficie de la médecine du travail. Mais lorsque l’on se retrouve au chômage, on perd ce droit alors que c’est une période où l’on est plus fragile car on perd déjà son salaire, son statut social, ses relations... », préconise-t-il. Avant de rappeler qu’aujourd’hui « rien est fait pour elles », et d’appeler de ses vœux la création d’un Observatoire du suicide dans notre pays. Un tableau de bord, pour que les voyants s’allument à temps.
L’association France Prévention Suicide organisait mercredi 2 février un colloque au Sénat sur le thème « Crise économique et suicide »
L’association Union nationale de prévention du suicide en organise un autre samedi 5 février intitulé « Suicides : quelles préventions dans un contexte de crises ? »
Et les suicides au travail ?
Le lien entre la crise économique et les suicides de salariés sur leur lieu de travail, phénomène tragiquement mis en lumière par la récente vague de décès à France Telecom est là encore très difficile à établir, en raison de l’absence de chiffres disponibles sur la question comme l’avait montrée l’enquête de nos confrères de Rue89. Une toute première étude vient d’être réalisée sur cette question par l’Institut de veille sanitaire, mais les données exploitées s’arrêtent en 2002. Personne ne peut donc dire si le nombre de suicides liés au stress au travail a augmenté, même si la tension qui règne dans nombre d’entreprises s’est, elle, logiquement accrue avec la crise.A lire aussi sur Terra eco :
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