Vous dites qu’il est enfantin de comprendre qu’on ne peut pas vivre dans un système de croissance perpétuelle sur une planète finie. Dans le même temps, vous avez découvert qu’il n’existe pas de théorie macroéconomique intégrant l’écologie. Qu’est-ce qui explique qu’il ait fallu autant de temps pour intégrer cette donnée-là ?
Les économistes comme Keynes étaient confrontés à des enjeux très différents d’aujourd’hui. La question était alors de maintenir la stabilité d’un système économique, d’assurer l’emploi avant la guerre, de savoir comment dépenser l’argent en période de guerre, d’augmenter le niveau de vie… La question des ressources était absente des débats. Mais je ne dirais pas que les économistes ne voyaient pas la question des limites. Simplement, ils pensaient que nous pourrions la traiter par la technologie et par l’efficacité.
Comment les économistes « classiques », qu’ils soient keynésiens ou néolibéraux, reçoivent-ils vos travaux ?
Ils disent que je ne tiens pas suffisamment compte du pouvoir des impôts et des taxes. Ils pensent que la fiscalité peut suffire à changer les choses : si elle permet de fixer le juste prix des choses, alors le marché se régulera de lui-même. Or, selon moi, la fiscalité n’est qu’un instrument. Et l’idée selon laquelle elle peut résoudre seule les problèmes est erronée. Elle permettrait certes de réintégrer des enjeux (écologiques, ndlr) que le marché ne prend pas en compte aujourd’hui, mais d’après moi, elle ne changerait pas la dynamique destructrice de notre système.
Et quelles sont les critiques positives qu’ils vous adressent ?
J’ai été très surpris de recevoir de nombreux échos positifs d’économistes, tout particulièrement de jeunes économistes. Ces derniers me disent qu’ils ont du mal à trouver des lieux où étudier ce genre de sujets. Il est vrai qu’il existe peu d’endroits dans lesquels les économistes peuvent travailler sur ces idées. Mais cela commence à changer.
Dans vos travaux, vous parlez de réduction et de partage du temps de travail. Quelle est votre position sur cette question très controversée ?
Dans le premier rapport que j’ai écrit, j’étais très enthousiaste sur cette question. S’il y a moins de travail dans nos économies, il est essentiel de mettre en place des politiques de partage de l’accès au travail.
Mais les économistes classiques disent que la croissance permet de résoudre ce problème de rareté du travail…
Effectivement, si l’on a de la croissance et que la productivité du travail augmente, alors on atteint le plein emploi. A contrario, la difficulté pour les promoteurs de la décroissance est que si vous stoppez la croissance, vous limitez la quantité de travail disponible. Alors la seule façon d’assurer un accès équitable au travail est de mettre en place des politiques de partage du temps de travail. Il faut bien comprendre que dans une économie fondée sur les services, il sera extrêmement difficile, et de plus en plus difficile, d’améliorer la productivité du travail. Il faudra donc trouver un équilibre entre améliorer la productivité dans certains secteurs – par exemple ceux dans lesquels le travail est pénible – et partager le travail dans d’autres secteurs.
Sur un plan plus individuel, vous défendez l’idée d’une réduction de la consommation. Avons-nous la capacité de choisir la sobriété ?
Il y a de nombreuses études sociologiques sur les comportements individuels. J’ai le sentiment, bien sûr, que certains individus réduisent leur consommation superflue. Mais, même si ces personnes semblent surmotivées, ce qui prédomine, c’est l’impression qu’elles sont prises dans un conflit permanent. En faisant de tels choix, qui semblent à propos, elles se placent en marge de la société. Il est donc très difficile pour des individus de relever ce défi.
Dernière question, plus personnelle : que changez-vous (ou pas) dans vos propres comportements, en termes d’empreinte écologique ?
Je n’ai pas de voiture, je prends le vélo ou je marche à pied quand je peux. Quand je suis en « tournée » en Europe (Tim Jackson est allé dernièrement à Nantes, Munich, Brême, ndlr), j’essaie de la faire en train. Je place mon épargne dans des fonds éthiques, j’essaie de limiter mon budget alimentation, je suis végétarien. Ce sont là des choix personnels, mais je reconnais que pour un individu, il est extrêmement difficile de faire tout cela dans un système tel que le nôtre.
Et le plus difficile ? C’est le téléphone ?
Oui, l’iPhone, c’est difficile d’y résister. Mais je résiste à l’iPad ! Pour moi, l’enjeu est de mettre des technologies au service de l’innovation sociétale, en faisant en sorte de ne pas en changer tous les six mois. —
Tim Jackson
Economiste, il occupe la chaire de développement durable de l’université du Surrey, la première jamais créée au Royaume-Uni. Il est également l’un des pionniers de la construction d’indices alternatifs de croissance économique. Il est par ailleurs auteur de pièces de théâtre diffusées par la BBC.1957 Naissance
1988 Travaille sur la réduction des émissions carbone pour l’ONG Les Amis de la Terre
1995 Rejoint le « Centre for Environmental Strategy » de l’université du Surrey
2000 Professeur de la chaire de développement durable
2006 Crée et dirige le groupe de recherches sur les styles de vie, les valeurs et l’environnement
2006 Remet à la Commission pour le développement durable britannique le rapport Prospérité sans croissance dont il tirera son livre.
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