Voilà des semaines que nous relayons les hausses du prix de l’essence, de record en record, à n’en plus savoir comment titrer nos articles. Son prix atteint depuis le début de l’année des niveaux historiquement élevés, se rapprochant toujours plus du seuil symbolique des 2 euros le litre. Un litre qui coûte déjà aujourd’hui près de trois fois plus cher qu’en 1988, époque où la France sortait des chocs pétroliers, comme le montre ce schéma ci-dessous.
Et pourtant... ils tournent (les moteurs). Alors qu’il se vendait 30 millions de tonnes de carburants en 1988, les Français en ont acheté plus de 42 millions de tonnes en 2010. Et cette hausse de la consommation n’a même pas plombé le budget des ménages. Les carburants pesaient 3,3% de nos dépenses en 1960, avant d’atteindre un pic de 4,4% en 1985 et redescendre à 3,5% en 2006 (dernières données disponibles). A croire que prendre sa voiture coûterait moins cher aujourd’hui qu’il y a vingt-cinq ans.
La première explication à ce paradoxe se trouve dans l’inflation. Car il n’y a pas que les prix de l’essence qui ont augmenté. Les petits pois, le carré de chocolat et même vos salaires (si si) ont aussi vu leur montant grimper. C’est la fameuse inflation, mesurée par l’indice des prix à la consommation. Pour savoir si le prix de l’essence a plus augmenté que les autres, il faut en fait corriger les données présentées plus haut de l’inflation. On obtient un résultat - dit en euros constants - sur le schéma ci-dessous (réalisé par le Commissariat général au développement durable) :
En euros constants, la hausse se révèle bien moins importante. Le prix des carburants ne bat que de peu les records atteints lors des chocs pétroliers des années 1970. C’est donc l’inflation qui explique en bonne partie pourquoi faire un tour de bagnole ne vous coûte pas trois plus cher qu’il y a vingt-cinq ans.
Mais ce n’est pas tout. Sur la même période, les voitures elles aussi ont évolué. La titine d’aujourd’hui consomme bien moins que sa cousine d’il y a vingt ans. Pour mesurer le poids réel du transport en voiture sur votre porte-feuille, il faut donc considérer cette baisse de la consommation. Pour ce faire, nous avons donc calculé le coût d’un trajet de 100 kilomètres en tenant compte de l’augmentation des prix du litre d’essence ou de gasoil mais aussi de la consommation moyenne aux 100 kilomètres du parc automobile français. Et pour corriger l’inflation, nous avons rapporté ces calculs au salaire minimum, le Smic (qui est réévalué chaque année en fonction de l’inflation). Résultat, voici ci-dessous le nombre de minutes que doit travailler un salarié au Smic s’il souhaite parcourir 100 kilomètres en voitures avec du gasoil, ou de l’essence :
En tenant compte de l’évolution de nos voitures et de nos salaires, on constate donc que se déplacer en voiture coûte relativement moins cher aujourd’hui, malgré la flambée des prix, qu’il y a vingt ans. Une bonne nouvelle ? A court terme, peut-être. A plus long terme, beaucoup moins.
Car les rares études existantes montrent que seuls des prix durablement élevés incitent à réduire la consommation de carburants. Sans hausse de prix, les réductions de la consommation permises par les progrès technologiques poussent même les ménages à consommer – toujours – davantage (les économistes appellent ce phénomène l’effet rebond). Depuis 2002, la consommation de carburant a ainsi stagné en France, qui a connu un double phénomène de hausse des prix et d’amélioration de l’efficacité des véhicules.
Certains observateurs souhaiteraient donc voir le prix de l’essence continuer à grimper. Comparant le prix du kWh fourni par le pétrole (50 centimes en 2010) à celui fourni par un être humain payé au Smic (jusqu’à 2 000 euros), l’ingénieur et spécialiste des questions d’énergie Jean-Marc Jancovici estimait même que « le prix du pétrole n’est pas élevé, il est nul ». L’économiste Alexandre Delaigue rappelait lui dans une chronique récente pour Libération : « La seule façon à terme de réduire l’impact du prix élevé du carburant est de réduire la consommation. Et pour cela, des prix élevés constituent la meilleure incitation possible. Le marché n’a pas toujours raison, mais chercher à ignorer le message qu’il envoie actuellement – consommer moins de pétrole – ne servira pas à grand-chose. »
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