Ce mercredi matin au Waknine, une brasserie de la très chic avenue Pierre Premier de Serbie, dans le XVIe arrondissement de Paris, un homme bien mis, en costume cravate, s’empare discrètement des deux derniers croissants mis à disposition sur le comptoir. « 60 en dix minutes, soupire la barmaid en faisant de gros yeux, il faut dire qu’ils sont délicieux… » Les invités du petit-déjeuner-débat intitulé « OGM, l’immense gâchis », ont, semble-t-il, faim. Le rendez-vous émane de la Fondation Concorde, « l’un des premiers think tanks généralistes de la droite modérée dans notre pays », comme le précise la présentation Web qui sort un rapport intitulé « Les OGM, une opportunité à saisir pour la France ». L’affaire semble sérieuse et urgente : les OGM, entend-on en préambule, sont désormais moins une question scientifique que politique.
Mais Philippe Chalmin, économiste à Paris-Dauphine, fondateur du cercle Cyclope qui publie chaque année un rapport sur les perspectives mondiales de « l’ensemble des marchés de matières premières, de l’ananas au zirconium en passant par les textiles, le soja, l’automobile ou même l’art », prend le temps de baguenauder. On apprend ainsi que c’est en entrant au Haut conseil des biotechnologies qu’il a su qu’une pyrale n’était pas une maladie, mais un insecte, et que les couches de sa petite-fille sont certes « GM free » (« sans OGM ») mais, bien que de marque suédoise, fabriquées en Turquie. La salle, essentiellement composée d’hommes sexagénaires avec un goût prononcé pour la cravate rouge, se marre. Comme Philippe Chalmin, en une expression quasi obsolète, s’adresse à elle en citant « la Chambre », on en conclut que la plupart sont soit députés, soit sénateurs.
Les OGM ? Le début de la liberté pour les Burkinabaises, pardi !
Mais Philippe Chalmin reprend son sérieux : pourquoi ce doute sur les OGM (« dans un pays comme la France, un pays de scientifiques, d’ingénieurs, dont le corps social a largement adhéré aux progrès des Trente glorieuses, au nucléaire, au gaz de Lacq, au TGV, aux nouvelles semences, à l’hybridation, qui n’avaient pas fait l’objet d’un débat démocratique, soyons honnêtes… » Pour résoudre ce fâcheux blocage, il faut impérativement répondre aux quatre questions fondamentales. Sont-ils nocifs ? « L’étude de Séralini et consorts a été rejetée par la communauté scientifique. » Ont-ils un impact sur l’environnement ? Philippe Chalmin « appartient à une spiritualité qui dit que ce n’est pas la nature qui passe avant l’homme, c’est l’homme qui passe avant la nature ». Autrement dit, on ne fait pas une omelette sans casser quelques œufs, puisque le jeu en vaut la chandelle : dix milliards d’êtres humains à nourrir d’ici peu. D’ailleurs, à Ouagadougou (Burkina Faso), un interlocuteur ne lui a-t-il pas confié que les OGM libèreraient les femmes… puisque moins de travail aux champs de coton, c’est moins de travail pour les femmes (? !)Les deux dernières questions semblent plus problématiques. Est-ce décent qu’un quarteron de fournisseurs prennent le contrôle génétique de la planète ? Là, c’est clairement la faute des écolos. « Nos amis faucheurs ont joué la carte de Monsanto, explique Philippe Chalmin. Leur action a éliminé la recherche publique française. » Quant à l’obligation de rachat de semences chaque année, le risque est réel. « Balancer des OGM dans un milieu rural sortant de l’autosuffisance, c’est une erreur fondamentale », plaide-t-il. Comprenez : c’est mieux d’attendre d’être aguerri à l’économie marchande pour se mettre pieds et poings liés dans les mains des semenciers internationaux.
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