Cent hectares par ici, quelques milliers par là. Chaque semaine, des acteurs publics ou privés achètent des parcelles de terres en dehors de leurs frontières. Le plus souvent pour produire de la nourriture sur des sols plus fertiles. Le plus souvent aussi sans consultation, voire au détriment des habitants sur place. Ce phénomène, appelé accaparement des terres, s’est généralisé au début des années 2000 et progresse depuis, contrat par contrat, sans faire de bruit.
Un groupe de chercheurs a décidé de rompre le silence, à coup de tableurs Excel. L’initiative, menée par un groupement d’ONG et de chercheurs spécialisés, s’appelle Land Matrix Database. Elle vise à bâtir une base de données ouverte et la plus complète possible sur l’accaparement des terres dans le monde. Plus d’un millier de contrats ont été déjà répertoriés, sur une surface d’environ 83 millions d’hectares. Soit un tiers de l’ensemble des terres achetées dans le monde depuis 2000, selon les auteurs de l’étude.
Bien que non exhaustives (voir encadré au bas de cet article), ces données confirment plusieurs tendances inquiétantes sur ce phénomène en marche :
1) Ces contrats sont conclus dans les pays les moins avancés et en manque de nourriture, notamment en Afrique
Indonésie, Congo, Zambie, Soudan, Ethiopie, Philippines.. Les pays qui ont le plus vendus de terres font partie des pays les plus pauvres de la planète. L’Afrique est particulièrement visée : plus de 42% des terres achetées depuis 2000 l’ont été en Afrique. A l’échelle du continent, ce serait près de 5% des terres agricoles qui auraient été accaparées. Ce serait aussi là que les terres seraient vendues et louées le moins cher. L’ONG cite par exemple un contrat passé au Sud-Soudan, où un investisseur norvégien a obtenu un bail de 99 ans pour 179 000 hectares pour seulement 12 500 dollars (9 900 euros) par an. Soit un coût annuel de 0,07 dollar (0,05 euro) par hectare et par an... En Ethiopie, la location d’un hectare de terres agricoles coûte en moyenne 4,30 euros par an. Comment ne pas rappeler que 5 millions d’Ethiopiens ont eu besoin de l’aide alimentaire internationale pour survivre en 2011 ? Et que des centaines de milliers de personnes sont mortes, lors des épisodes de famine qui ont frappé la Corne de l’Afrique lors des étés 2010 et 2011 ? C’est donc cette partie du monde que nous avons souhaité cartographier. L’infographie ci-dessous montre les pays africains visés par les investissements, et les pays - africains ou non - qui investissent en Afrique.
Cliquez sur la carte pour découvrir l’infographie animée réalisée par Félix Raymond, Quentin Le Roux et Pierre-Emmanuel Henry, étudiants à l’école de Design Nantes Atlantiques.
2) Les terres achetées servent peu ou pas à l’agriculture vivrière
Plus de 48 millions des hectares de terres achetées dans le monde depuis 2000 sont des terres agricoles. On y produit principalement de l’huile de palme (13 millions d’hectares), du Jatropha (10 millions d’hectares) et du maïs (8 millions d’hectares). La première est un ingrédient essentiel de nos biscuits, chips et savons. Pas vraiment de l’agriculture vivrière. Le second est une plante qui sert à la production d’agrocarburant. Elle a l’avantage de pouvoir pousser sur des sols moins fertiles, et donc de moins concurrencer les cultures vivrières. Reste à vérifier qu’elle pousse bien sur des sols arides. Car le rendement augmente sur des sols fertiles, ce qui amène certains industriels à délaisser les terres arides. Le maïs est la seule culture vivrière massivement produite dans le cadre de ces achats. Reste à s’assurer là encore que ce maïs ne finit pas en agrocarburant.
3) Ces ventes se font au détriment des habitants sur place
La moitié des parcelles vendues étaient exploitées avant la signature du contrat, assurent les auteurs du rapport. Parfois, les anciens occupants sont employés par les nouveaux propriétaires. Parfois, les populations sont déplacées. En Ouganda, Oxfam affirmait en septembre dernier que plus de 22 000 personnes avaient été déplacées depuis 2004 pour les besoins de l’installation d’exploitations forestières aux mains d’investisseurs étrangers. Enfin, les nouvelles activités concurrencent les activités déjà existantes, notamment l’accès à l’eau, rappelait par ailleurs en janvier le Guardian .
La base de données repose sur une grande variété de sources : articles de journaux, rapports d’ONG, documents officiels et enquêtes de terrains. Les résultats présentés comportent plusieurs biais. Ainsi, l’information sur les contrats est beaucoup plus facilement disponible dans certains pays que dans d’autres. Ce qui explique au moins en partie pourquoi le Cambodge est largement sur-représenté par rapport au Niger, au Congo, à la Somalie. L’information est également moins complète dans ces mêmes pays. Nous avons donc dû renoncer à exploiter certaines données disponibles pour réaliser notre carte, par exemple lorsque l’on ne connaissait pas le pays d’origine des investisseurs. On peut également s’interroger sur la sur-représentation du Jatropha. Les industriels et pays vendeurs ont en effet été très probablement plus prompts à communiquer sur les mises en production de cette plante, un temps présentée comme le futur or vert, que sur les très critiqués agrocarburants classiques. Cette base, qui sera complétée dans les semaines qui viennent, reste néanmoins la source la plus complète sur le sujet.
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