Consommateur éclairé, Michel Leclercq se sentait impuissant en matière d’électricité. Après une tentative infructueuse d’installer une éolienne dans son jardin, ce sculpteur breton ne se résignait pas à alimenter ses ampoules à l’énergie nucléaire. Pour ne plus subir les orientations stratégiques d’EDF, deux options s’offraient à lui : se brancher sur Enercoop, le fournisseur d’énergie verte, ou relocaliser. Il a choisi les deux. « Avec des amis maraîchers, on s’est dit qu’en jouant collectif, on pouvait se réapproprier notre production d’énergie. »
Dix ans plus tard, Béganne, petite commune du Morbihan, s’apprête à inaugurer le plus grand parc d’éoliennes françaises à financement citoyen. Avant l’été 2014, quatre installations d’une puissance de 2 mégawatts (MW) couvriront les besoins de 8 000 foyers, soit l’équivalent de la population du canton. Le premier actionnaire de cet investissement de 12 millions d’euros ? Les habitants du coin. A eux tous, 1 000 particuliers détiennent 87% du capital de l’entreprise Bégawatts, fondée en 2010 pour gérer le parc éolien. Aux côtés de Michel Leclercq, et derrière l’association Eoliennes en pays de Vilaine qu’il a créée, ils ont investi en moyenne 1 700 euros chacun. Plusieurs banques, la caisse des Dépôts et un fonds régional se partagent le reste du capital.
80 000 Allemands financent des énergies renouvelables
Le système, qui essaime en France à travers des dizaines de projets de plus petite échelle, s’inspire de nos voisins européens. « Outre-Rhin, la moitié de la puissance installée d’énergie éolienne ou solaire est financée par des particuliers ou des collectivités », souligne Michel Leclercq, admiratif. Ainsi, quelque 80 000 citoyens allemands possèdent des parts dans les énergies renouvelables. Le Danemark va plus loin, en imposant que 20% du capital de chaque éolienne soit détenu par de simples citoyens. La France, elle, commence tout juste à voir les vertus du système. La première d’entre elles ? Faire accepter l’éolienne dans le territoire.« Si on m’avait dit qu’une multinationale allait installer des éoliennes à moins d’un kilomètre de chez moi et utiliser nos ressources naturelles pour alimenter je ne sais quel fonds de pension basé à l’étranger, j’aurais sans doute protesté », reconnaît Didier Jam, un des plus proches voisins du site d’implantation de Bégawatts. « A l’inverse, ce projet porté par un groupe de citoyens me correspond. » A tel point que ce professeur des écoles, qui a pris la tête d’un club de 20 investisseurs, s’excuse presque de n’avoir placé « que 500 euros » dans le projet.
Cette histoire bretonne fait écho à un conte auvergnat. Au cœur de paysages dignes de publicités pour de l’eau en bouteille, l’implantation d’énergies renouvelables est souvent source de crispations. En 2008, lorsque des élus de Loubeyrat (Puy-de-Dôme) et des villages voisins présentent un projet industriel de parc éolien porté par une société spécialiste de l’offshore, un groupe de citoyens s’étrangle. « Tel qu’il était ficelé, ce projet typique du capitalisme de marché ne nous convenait pas », se souvient Isabelle Gardère. « Mais protester n’allait rien changer, il fallait occuper le terrain », poursuit la présidente de l’association Combrailles durables. La poignée d’habitants propose alors un projet alternatif : développer eux-mêmes des énergies renouvelables en commençant par installer des panneaux solaires sur le toit de l’école primaire. Les élus les prennent au mot et suspendent le projet initial.
Pour 750 euros, produire de l’énergie pour vingt ans
« En termes de crédibilité, ce n’était pas gagné : notre conseil d’administration réunit entre autres un vétérinaire, un charpentier et un prof de maths », s’amuse la présidente, elle-même ingénieure agricole. « En matière d’énergies et d’entrepreneuriat, nous sommes tous des incompétents notoires », sourit-elle. Cinq ans plus tard, « les incompétents notoires » ont à leur actif sept centrales photovoltaïques, financées par 180 coopérateurs, pour une puissance de 103 kilowatts (kW). « Tel que notre système fonctionne, en achetant 15 parts coopératives, soit un investissement de 750 euros, chacun peut produire l’intégralité de l’énergie de son foyer pour vingt ans, c’est extrêmement satisfaisant », détaille cette élève modèle dont la famille produit 400% de ses besoins.« Le problème, c’est que dans un village d’un millier d’habitants, le nombre d’investisseurs est limité », poursuit-elle. Alors pour financer quatre nouvelles centrales d’ici à l’automne prochain, les banques ont pris le relais. Soucieuse de garder un socle citoyen, l’association a lancé une collecte sur le site de financement participatif Ulule avant de faire appel au fonds d’investissement Energie partagée.
Energie partagée, c’est l’autre bébé de Michel Leclercq, un fonds national qui centralise les investissements citoyens en direction des énergies renouvelables (voir la carte de leurs projets ci-dessus). « Avec Bégawatts on a découvert que lorsque l’on dépasse les 99 actionnaires, on a besoin du feu vert de l’autorité des marché financiers (AMF), explique le cofondateur. Pour une jeune entreprise de cette taille, ça n’aurait pas été possible. » Pour contourner le problème, Energie partagée donne à ses 2 500 souscripteurs le moyen de faire des « investissement fléchés », c’est-à-dire dirigés vers sa région. Car en plus des éoliennes de Bégawatts, Energie partagée finance 34 projets, éoliens mais aussi solaires, biomasses ou micro-hydrauliques. « Cela permet de mutualiser les risques » souligne Michel Leclercq. Car le vice-président joue franc jeu : « Il s’agit d’investissements et non d’épargne, donc, même s’il est très faible, le risque n’est pas exclu. » Les bénéfices non plus. A Energie partagée, on estime que les investissements rapporteront en moyenne 4% par an sur dix ans, à condition d’être patients. Dans le cas de Bégawatts, l’installation ne devrait pas rentable avant la cinquième année de fonctionnement.
Sans attendre ces retombées, l’association éolienne en pays de Vilaine prépare déjà une nouvelle levée de fonds. Après l’enthousiasme suscité par les éoliennes de Béganne, ce sont les citoyens de Loire-Atlantique qui sont invités, dès décembre, à financer un projet identique à Séverac-Guenrouët.
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