Qui dit big data dit Big Brother ? Pas forcément ! C’est en tout cas le pari de Paul Duan. Ce brillant jeune homme, aujourd’hui âgé de 23 ans, s’envole vers les Etats-Unis il y a quatre ans pour ses études. Il devient ensuite le premier scientifique des données chez Eventbrite, plateforme de billetterie en ligne présente dans 187 pays. Son boulot consiste à créer des algorithmes, c’est-à-dire des formules de calculs pour puiser dans les données et y trouver des réponses. Paul Duan a ainsi pu stopper 99,8 % des transactions frauduleuses sur la plateforme de son employeur. Ce qui l’a fait gamberger : « Je peux, moi, Paul Duan, tout seul, avec un peu de code, créer des algorithmes qui permettent à ma boîte d’économiser des millions de dollars par an et améliorer de façon quantifiable l’expérience de nos utilisateurs. Est-il fondamentalement si différent d’aider les dizaines de millions d’utilisateurs du système carcéral américain ? » Sa réponse s’appelle Bayes Impact – du nom d’un mathématicien du XVIIIe siècle qui a inventé un théorème sur les probabilités. Paul Duan a créé cette ONG en avril 2014, pour faire du social avec des algorithmes.
L’idée – ambitieuse – est de travailler avec les grands organismes, les gouvernements… Ainsi, Bayes cherche à identifier, grâce à ses algorithmes, les meilleurs candidats à la libération sur parole, afin de limiter le surpeuplement des prisons californiennes. Quand Uber collecte des données sur ses passagers, leurs destinations, leurs trajets et les utilise pour déterminer les lieux et les heures où les demandes ont le plus de chances de survenir, Bayes Impact fait la même chose pour les ambulances de San Francisco. Cela permet, certes, de faire des économies, mais aussi de sauver des vies ! Chez Meetic et sur les autres sites de rencontre, les algorithmes servent à connecter les clients selon leurs affinités. Bayes Impact veut utiliser les mêmes techniques pour proposer les bonnes offres d’emploi aux bonnes personnes et lutter ainsi contre le chômage. Et c’est notamment grâce à ce genre de projets que l’ONG de Paul Duan a su attirer de nombreux soutiens – la fondation Bill et Melinda Gates, entre autres. Le jeune homme a par ailleurs débauché une dizaine d’ingénieurs de haut niveau de chez Google, Facebook et Uber.
Optimiser l’aide alimentaire
Et Paul Duan n’est pas tout seul. Partout dans le monde, des projets visant à utiliser les data différemment émergent. Parmi eux, Data For Good, dont l’objectif est de « faire se rencontrer des as de l’analyse de données et des associations et entrepreneurs sociaux ». Sa branche française travaille notamment avec la Croix-Rouge pour optimiser l’aide alimentaire. Autre exemple bleu-blanc-rouge : Epidemium. Dans le cadre de ce programme participatif de recherche scientifique, des équipes vont plancher, de novembre à mai prochain, sur les données concernant l’épidémiologie du cancer. Le but ? Mieux anticiper et diagnostiquer la maladie. « Il y a tout un mouvement qui prend corps à l’échelle internationale », explique Laure Lucchesi, directrice adjointe de la mission Etalab. Cette agence gouvernementale a été créée en 2011 pour ouvrir les données de l’Etat, afin que citoyens, ONG et chercheurs s’en emparent via le site Data.gouv.fr. Etalab a fait de la France une pionnière en la matière. « On a une équipe de cinq scientifiques de données, poursuit Laure Lucchesi. Ils travaillent par exemple avec la police sur un projet pilote dans l’Oise. Il s’agit de déterminer les lieux où les vols de voiture sont les plus probables pour améliorer les patrouilles et faire de la prévention. » La mission collabore aussi à de nombreux projets, comme ce hackathon organisé en septembre par la Caisse d’allocations familiales. Un des lauréats a proposé de regrouper, grâce aux données, les personnes qui ont un problème commun pour leur proposer un rendez-vous au même moment avec un expert afin d’échanger des tuyaux.
« Le pouvoir de transformer le monde »
Même l’ONU s’y met. En septembre, l’organisation a adopté 17 Objectifs de développement durable pour lutter contre la pauvreté, les inégalités et faire face au changement climatique d’ici 2030. Dans la foulée, elle lançait un partenariat mondial pour les données de développement durable, qui doit compléter les data manquantes dans les pays en développement afin de prendre les décisions les plus pointues possibles. « La révolution des données a le pouvoir de transformer le monde », peut-on lire sur le site consacré à cette initiative. Sont-elles si puissantes ? « Il faut nous désenvoûter de deux discours exagérés : celui qui affirme que les données peuvent tout et celui qui dit qu’elles nous aliènent, commente le sociologue Dominique Cardon, auteur de A quoi rêvent les algorithmes (Seuil, 2015). Mais ce secteur orienté vers les applications citoyennes et la réappropriation des données peut avoir des effets importants qu’il faut encourager. » Paul Duan, lui, y croit. Il travaille en ce moment avec la France sur des questions liées à l’emploi. L’entrepreneur ne veut encore rien dévoiler, mais promet de « grandes choses » pour 2016.
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