Mise à jour du 9 novembre : Greenpeace a annoncé le 2 novembre dernier avoir été retoquée pour le rachat des activités allemandes dans le charbon de Vattenfall. Une issue prévisible. |
Le jour où Vattenfall, énergéticien public suédois, mit en vente ses activités de lignite en Allemagne, il ne s’attendait pas à ça. Aux côtés de deux géants tchèques (CEZ et EPH), un petit poucet, novice sur les marchés financiers, s’est porté candidat pour le rachat des mines et centrales de Vattenfall : Greenpeace. Dans une lettre officielle datée du 6 octobre (en pdf, la branche nordique de l’ONG (qui regroupe Greenpeace Suède, Danemark, Norvège et Finlande), a « exprimé [son] intérêt en vue d’acquérir les activités de lignite en Allemagne que Vattenfall prévoit de vendre ».
Une ONG verte qui lorgne cinq centrales à charbon et les cinq mines afférentes ? L’histoire n’est pas banale. Sauf que Greenpeace Suède ne compte pas engranger du blé en crachant des volutes de fumée vers le ciel. S’ils veulent racheter Vattenfall-Allemagne, c’est « pour être sûr que le lignite reste dans le sol », précise sans sourciller Annika Jacobson, directrice des programmes de Greenpeace pour la Suède. En clair, pour fermer mines et centrales. « Si l’on veut rester dans l’objectif des 2°C (2°C maximum d’augmentation de la température terrestre à l’horizon 2100, ndlr), il faut laisser 89% du lignite européen dans le sol. Or la moitié du lignite européen est en Allemagne, dont 25% est exploité par Vattenfall », énumère-t-elle, en s’appuyant sur une étude publiée dans la revue Nature en janvier dernier. Car le lignite, un charbon à forte teneur en carbone, est très polluant. Et ses mines à ciel ouvert, qui ouvrent le paysage de grandes balafres, font plutôt mauvais genre au bilan d’un pays qui se veut exemplaire.
Sous la pression, Vattenfall a cédé
Cela fait des années que Greenpeace faisait pression sur Vattenfall pour abandonner ses activités charbonnières. Un combat similaire à celui que mènent en France les ONG pour pousser EDF et Engie (ex-GDF) – dont l’Etat est actionnaire majoritaire ou de référence – à ne plus investir dans la houille ici comme ailleurs (1). Dès 2010, Greenpeace avait mené l’assaut contre le siège de l’opérateur à Stockholm, s’enchaînant à la porte d’entrée, descendant en rappel le long des façades. En 2015, rebelote, les activistes suédois affichaient un gigantesque portrait de Mikael Damberg sur la façade de son ministère avec pour message : « Laissez le charbon de Vattenfall dans le sol. »
A force de pression de la part des ONG et du gouvernement – qui avait déjà douché ses ambitions d’ouvrir cinq nouvelles mines l’automne passé –, Vattenfall a décidé de sauter le pas et de se concentrer sur les énergies renouvelables. Mais plutôt que de fermer ses mines et ses centrales, elle a décidé de les vendre. Et c’est là que le bât blesse pour Annika Jacobson : « Si Vattenfall vend ses activités d’énergies fossiles à quelqu’un qui les brûlera à sa place, elle apparaître peut-être plus verte mais ça reviendra au même pour le climat. » Or, pour la cadre de Greenpeace, « il est probable que le nouvel acheteur ouvrira les cinq mines qui étaient déjà dans les tuyaux. Ça paraît logique d’un point de vue économique. On n’achète pas un opérateur pour arrêter son développement. » Sauf quand on s’appelle Greenpeace.
8000 jobs en jeu
Reste que l’objectif de l’ONG n’est pas de mettre un coup d’arrêt brutal. Les centrales tournent encore et la région a besoin de leur électricité. Le retrait progressif du nucléaire après l’accident de Fukushima, le coup de frein porté depuis 2014 aux énergies renouvelables, jugées trop coûteuses, via l’arrêt des tarifs de rachat, ont rendu le lignite – une énergie peu chère et produite localement – très avantageux, résume en substance Michel Leistenschneider, directeur du fonds d’investissement Demeter Partners à Berlin : « Si on ferme les centrales nucléaires et qu’on n’a plus de développement des énergies renouvelables, il faut bien trouver l’électricité quelque part. »
Surtout, le secteur emploie 8000 personnes en Lusace. « Notre intention n’est pas de fermer tout demain mais d’amener la région vers une transition durable et transparente, se défend Annika Jacobson. C’est nécessaire de toute façon. Le retrait du lignite était déjà prévu par Vattenfall qui envisageait de supprimer 50% des emplois en 2030. » Il est aussi inéluctable si l’Allemagne entend atteindre ses objectifs de réduction de gaz à effet de serre (-40% en 2020, - 55% en 2030, etc.) « Je pense qu’il est préférable d’affronter la transition plutôt que de la subir », poursuit la cadre de Greenpeace qui entend, avec l’aide du gouvernement allemand, créer des opportunités d’emploi dans le secteur des énergies renouvelables. Un plan de transition que l’ONG a détaillé dans [un document long de 94 pages→http://www.greenpeace.de/sites/www....] et publié en avril. Un plan « sans perte d’emplois pour la Lusace », assure Susanne Neubronner, chargée de campagne climat et énergie pour Greenpeace Allemagne cette fois. Mais l’ONG n’est pas dupe, il y aura forcément de la résistance notamment du côté des travailleurs à qui « on n’a pas exposé les alternatives ». « Il y aura une pression très forte contre la fermeture de ces activités », abonde Michel Leistenschneider.
Rentable ? Ça dépend
La compagnie a-t-elle néanmoins une chance d’emporter le morceau ? Premier souci : sa légitimité. Greenpeace balaye l’argument dans un communiqué en assurant qu’elle a « une bonne connaissance de la question de l’avenir du marché de l’énergie et de l’évolution des politiques climatiques ». Deuxième os : l’argent. Dans son dernier rapport annuel, Greenpeace chiffrait sa trésorerie à 18 millions d’euros. En juillet, Vattenfall évaluait son activité en Allemagne à 15,2 milliards de couronnes suédoises (1,6 milliard d’euros). Pas de doute, pour Michel Leistenschneider, le lignite – tant que son exploitation reste légale – est une activité plus que rentable. « La production de lignite est une cash machine avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, résume Michel Leistenschneider. Vattenfall a amorti ses investissements, alors chaque jour qui passe, c’est de l’argent qui entre. Même si la compagnie qui achète ne peut exploiter que pendant cinq ou dix ans, ce sera cinq ou dix ans de rentes pures. »
Mais Greenpeace ne sortira pas les gros billets : « Nous n’entrerons pas en compétition avec les autres candidats », précise Annika Jacobson. Car l’ONG conteste les chiffres. Exagérée selon elle, la valeur des activités allemandes de l’entreprise. L’Institut Brainpool, mandaté par l’ONG, l’a chiffrée à moins de 500 millions d’euros, baisse du prix de l’électricité oblige. Mais surtout, l’ONG rappelle qu’il faut soustraire de la valeur de la branche les externalités liées à l’exploitation. « Si vous comptez les coûts futurs de ces exploitations, notamment la restauration du paysage après coup qui est obligatoire, ce n’est pas rentable. Il y a beaucoup de dégâts, de problèmes de pollution des eaux… », souligne Susanne Neubronner. Il y a aussi, parfois, les coûts colossaux engagés pour effacer et reconstruire des villages qui ont le malheur de se trouver sur la route du lignite (Voir ce reportage de Terra eco publié en avril 2013). Des dépenses que Greenpeace chiffre tout confondu à 2 milliards d’euros. Aussi, dans son plan de rachat présenté ce mardi devant la presse (en PDF) à Berlin, l’ONG a donc accordé une valeur négative de -1,5 milliard pour Vattenfall-Allemagne. Plus besoin pour elle de débourser quoi que ce soit. Au contraire, elle suggère que Vattenfall débourse une somme rondelette pour payer les coûts futurs du démantèlement. Une somme qui viendra alimenter les caisses d’une future fondation qui deviendra propriétaire des mines et centrales de Vattenfall et sera chargée d’accompagner leur sortie du lignite.
On n’a pas de sous, mais on a des idées
Idéaliste, Greenpeace ? Si l’ONG gagne, c’est surtout que l’Etat suédois et son homologue allemand aura fait un choix, non plus d’argent, mais de raison, assure l’ONG. Un argumentaire fumeux pour Michel Leistenchneider, directeur du fonds d’investissement Demeter Partners à Berlin. « Si l’Etat suédois voulait fermer les mines, il n’aurait besoin de personne. Il n’avait qu’à donner l’ordre à Vattenfall de le faire. Je ne vois pas pourquoi ils auraient besoin de passer par Greenpeace », oppose-t-il. A notre demande d’interview, Vattenfall a répondu en substance « no comment ». Tandis que dans la presse, l’opérateur suédois a laconiquement précisé : « Toutes les offres sérieuses sont les bienvenues. »
Devant les journalistes railleurs, les cadres de Greenpeace ne se laissaient pas démonter ce mardi. Ils assuraient constituer la seule offre prenant en compte sérieusement le futur de la région. Le communiqué publié peu après la conférence de presse, le dit très clairement : « Nous sommes prêts à prendre la responsabilité de la protection du climat, de la santé humaine et des emplois futurs dans la région si Vattenfall et le gouvernement suédois ne sont pas prêts à le faire. »
(1) Le 14 octobre, Ségolène Royal avait annoncé sur les ondes de BFM qu’Engie allait « programmer la fin des investissements dans le charbon » et se retirer de ceux où elle n’est pas fermement engagée.
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