Des hommages de rappeurs au fromage, on en trouve à la pelle sur la Toile. Nous n’en mentionnerons qu’un : Laurent Gerra. L’humoriste fait parfois des bruits de mots pas très (r)affinés, comme aux Victoires de la musique en 2007. Jugez un peu : « Et je râpe, râpe, râpe son fromage à c’bouffon / Il y en a qui jouent du rock / Du roquefort... » (la vidéo, c’est ici). Problème, le comique commet une erreur fondamentale.
« On ne devrait pas dire râper mais “grapuser” », soutient l’historien de l’alimentation Georges Carantino. Au Moyen-Age, une râpe à fromage désigne normalement une pièce de fer munie de petits picots sur lesquels on vient frotter la meule, qui s’effrite en copeaux, à la manière du parmesan saupoudré sur les pâtes. Aujourd’hui, le fromage vendu en sachet plastique se présente sous forme de courts fils, obtenus grâce à des lames courbes et coupantes, et non des picots. « Il serait plus correct de dire qu’il s’agit d’une julienne de fromage », estime ce turophile (« tyros » en grec signifie fromage) averti.
Tant pis, nous faisons nôtre ce dérapage verbal qui veut que le fromage râpé se présente communément sous la forme de filaments censés s’étirer en fondant. Et dont les Français sont friands. Neuf foyers sur dix en consomment en moyenne 3 fois par quinzaine, et le quart d’entre eux râpent leur fromage eux-mêmes, selon une enquête 2010 du Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (Cniel).
Plus de 100 000 tonnes d’emmental râpé englouties en 2012
Sur le podium, les frères qui râpent tout sont issus de la famille des pâtes pressées cuites. La meule d’or revient à l’emmental : on en a englouti 101 000 tonnes de pré-râpé en 2012. Loin derrière arrive le comté, avec 1 580 tonnes achetées en sachet cette même année, alors qu’il n’est commercialisé sous cette forme que depuis 2007. Bon dernier, le gruyère français, celui qui a des trous. Il s’en est vendu 550 tonnes version râpée. Soit toujours plus que les années précédentes. « La croissance de ce segment tient à l’enthousiasme retrouvé des Français pour le fait-maison. Et au fait que les jeunes foyers s’orientent vers une cuisine rapide et simplifiée », composée de croques-monsieur, sandwiches chauds, cakes et quiches, analyse le Cniel.
La grande majorité d’entre nous choisit l’emmental passe-partout, souvent moins cher que les autres (6,9 euros le kilo en moyenne). Les emmentals protégés, eux, ne représentent que 5% de l’ensemble de la production française. Deux sont dotés d’une indication géographique protégée (IGP) et si vous voulez un grand cru, optez pour le « Label rouge » – 275 tonnes seulement vendues chaque année en râpé. Leur cahier des charges garantit, comme pour le comté et le gruyère protégés par une appellation d’origine, que la production, la fabrication et l’affinage sont réalisés dans la région d’origine et selon des règles bien spécifiques.
Pour le gros de la production, pas de label de qualité mais un décret paru en 2002 à respecter pour pouvoir apposer « français » à côté d’« emmental » : des meules de 60 à 130 kg, un affinage de six semaines minimum, en partie sous film plastique afin que la croûte ne soit pas trop dure et le fromage plus facile à râper. Ainsi, si le fromage est façonné en blocs de 40 kg minimum, plus faciles à stocker, il ne peut pas être commercialisé sous la dénomination « emmental », et devra se contenter de « fromage râpé ».
De l’emmental français à partir de lait européen
Lactalis, l’un des leaders français avec sa marque Président, réserve le cœur de ses meules au fromage en portion et passe le bord à la moulinette, tout en garantissant qu’« il n’y a pas de différence de qualité entre les produits ». Si le groupe précise que le lait utilisé est 100% français, rien n’oblige en fait les producteurs à se fournir aux pis bleu-blanc-rouge. « Un emmental français peut être fabriqué avec du lait d’origine différente », confirme Olivier Vallat, président du syndicat de l’Emmental grand cru « Label Rouge »(1). Et quand seul le terme « emmental » est indiqué sur l’emballage, c’est que le fromage provient d’un Etat membre de l’Union européenne où d’autres règles, moins strictes, sont en vigueur. L’Allemagne, les Pays-Bas ou le Danemark exigent simplement de leurs fromagers qu’ils respectent le Codex Alimentarius (normes internationales fixées par l’Organisation mondiale de la santé et l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation).
Dans la liste d’ingrédients autorisés pour ces emmentals, on trouve des colorants, des antiagglomérants, des agents de conservation et des régulateurs d’acidité. Autant d’additifs interdits, pour l’instant, dans les filières françaises. A une exception. Parce que « le fromage râpé a tendance à former des paquets, ce que n’apprécie pas le consommateur […] l’administration française a autorisé depuis plusieurs années l’emploi d’anti-mottants (amidons et amidons modifiés) dans tous les fromages râpés y compris AOP et IGP, dans la limite de 20 g/kg », indique le Cniel. L’officialisation de cette pratique est imminente. Comme votre prochaine bouchée de fromage.
(1) A cet égard, le Cniel précise que la France importe seulement 0,7% du lait collecté et transformé sur son territoire. Il souligne par ailleurs le fait que le lait « doit nécessairement être mis en fabrication au maximum entre 24 et 72 h après la traite, et quel que soit l’usage que l’industrie laitière en fait : fabrication de fromage, de produits frais, de lait UHT ou de poudre. Il est donc difficile, dès lors, d’aller s’approvisionner loin de l’usine ».
Le faux fromage met les pieds dans le plat
Vous préférez quoi sur votre pizza ? Du fromage analogue ou du Lygomme ACH Optimum ? Le premier est apparu en 2007 avec la flambée des prix du lait. Cette margarine est composée de matière grasse végétale, de protéine laitière, d’amidons, d’exhausteurs de goût. Miam. Mais le géant de l’agroalimentaire Cargill a fait encore plus fort en 2009, avec son faux fromage sans lait. Lygomme ACH Optimum est le résultat du mariage de trois amidons, de deux gélifiants (repérez les E410, E412, E417 et E407 sur les étiquettes) et d’arômes. Bonus pour les industriels : il échappe à la volatilité des prix du lait et coûte 200 fois moins cher que la mozzarella tant regrettée sur votre pizza...
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