Prêts à travailler plus, les Français filent au rythme du jogging présidentiel, s’engouffrent dans le TGV Est, adorent les épiceries où s’avalent, sur place et à toute heure, des plats réchauffés au micro-onde et se rencontrent en speed-dating… Le slogan « ralentissez » paraît donc bien démodé. Et pourtant. Le « slow » pourrait devenir davantage que la danse de l’été. Hostile à l’hégémonie de la vitesse dans notre vie quotidienne, accélérée par les nouvelles technologies et le « turbo-capitalisme », ce mouvement s’étend, lentement mais sûrement, partout dans le monde et à toutes les activités humaines, de la gastronomie au sexe, de l’urbanisme aux voyages.
Leitmotiv de ses partisans : que chacun trouve librement son rythme et son équilibre personnel. Car aller lentement est meilleur pour la santé. Cette philosophie aide par exemple à prévenir le stress, qui coûte la bagatelle de 300 milliards de dollars par an à l’économie nord-américaine et pousse certains employés au suicide. Elle permet aussi de limiter l’obésité, car manger vite empêche (…) un estomac d’envoyer des signaux de satiété au cerveau. Le slow, estime ses partisans, constitue par ailleurs un plus pour l’environnement. Mieux vaut choisir le vélo plutôt que l’auto. Aller doucement est donc « meilleur tout court », depuis les menus mijotés aux petits oignons jusqu’aux longues étreintes amoureuses. Le tout invite parfois à un questionnement spirituel dans notre civilisation matérialiste, comme le montre le journaliste britannique Carl Honoré dans un best-seller – Eloge de la lenteur – paru il y a deux ans. Tour d’horizon de la planète Slow. Mais d’abord, un peu d’histoire.
Attaque de bols de penne
Tout a commencé à Rome. Pas de louve ni de jumeau fratricide en guise d’acteurs, mais une multinationale et des militants « fasticides ». En 1986, le projet de construction d’un fast-food McDo sur la mythique place d’Espagne déclenche une contestation spontanée. Des manifestants défilent en brandissant des bols de penne. Lancée sur le ton de la boutade par le sociologue, activiste et gastronome italien Carlo Petrini, l’expression « Slow Food » fait aussitôt recette et donne son nom au mouvement, officiellement lancé à Paris en 1989.Dix ans avant le démontage du McDo de Millau par un certain José Bové, il entend défendre la bonne chère et la souveraineté alimentaire face à l’agriculture industrielle et la mondialisation. Depuis son siège de Bra, dans le Piémont italien, le Slow fait rapidement tache d’huile (d’olive). Il compte aujourd’hui officiellement plus de 82 000 adhérents répartis dans 50 pays et environ 800 conviviums (groupes locaux).
La moitié de ses membres demeurent en Italie, pays de la dolce vita et des linguine alle vongole. Plus surprenant, les Etats-Unis abritent le deuxième contingent, 14 000 membres actifs notamment pour la défense des marchés fermiers. Ils sont environ 2 000 en France, où le premier convivium a été créé en 1997 à Perpignan par Jean Lhéritier, actuel président de Slow Food France. « En matière de gastronomie, les Français pensent n’avoir rien à apprendre, avance Jean-Claude Leberre, président du convivium nantais et responsable communication de la chambre d’agriculture de Loire-Atlantique. Ce n’est pas le cas des Italiens, dont la gastronomie n’a pourtant rien à nous envier, mais qui ont développé des ateliers du goût et même une université des sciences gastronomiques », sise à Bra.
Nos assiettes dirigent le monde
Pour Slow Food, la sensibilisation des palais va de pair avec la défense de la biodiversité grâce au travail des sentinelles (lire page 10) ou la lutte contre les OGM. Le mouvement appuie, par exemple, le leader du convivium de Balaguer (Catalogne espagnole), Josep Pamies, poursuivi pour arrachage dans un champ de maïs transgénique expérimental, interdit aux Etats-Unis. Selon Jean Lhéritier, Slow Food remplit ainsi deux fonctions de « passerelles » qui n’existaient pas auparavant. « L’association fait le lien entre l’altermondialisme de contestation et celui qui propose des alternatives d’une part, et entre les gens qui promeuvent une meilleure alimentation pour des raisons de santé, de sécurité et ceux qui veulent préserver le plaisir et la tradition d’autre part. »« Rétablir les critères d’une agriculture paysanne, le plus possible locale, saisonnière, naturelle, traditionnelle constitue le début d’une solution, écrivait le sociologue Carlo Petrini dans l’édition du Monde Diplomatique d’août 2006. Les êtres humains doivent certes se nourrir, mais pas aux dépens de l’équilibre de la nature. Les gastronomes, les consommateurs ne peuvent plus l’ignorer : même si cela fait sourire, le choix de ce qu’on mange oriente le monde. »
Mais le mouvement Slow ne se limite pas à la table. Il veut aussi changer la ville, où réside désormais la moitié de l’humanité. Emanation de Slow Food, dont il partage le symbole de l’escargot, le réseau Cittaslow (lire page 7) a été inventé en 2002 par quatre villes italiennes moyennes. Il s’est à son tour disséminé en Europe (sauf en France), en Australie et en Nouvelle-Zélande et compte désormais une centaine de villes membres. Ces dernières doivent respecter les 55 recommandations qui érigent la lenteur en art de vivre. Dans le désordre : priorité aux transports en commun et non polluants, multiplication des zones piétonnes, priorité aux infrastructures collectives avec des équipements adaptés aux handicapés et aux divers âges de la vie…
Longs séjours plus relax, moins de crises cardiaques
« Puisque la crise de notre temporalité est aussi celle du temps naturel incapable de faire valoir ses droits face au temps mécanique, alors il faut réaffirmer l’importance des rythmes naturels : saisonniers, diurnes et nocturnes, analyse le philosophe Paul Ariès. Le réseau Slow Cities remet en cause toutes les prothèses technologiques qui ont servi à la dénaturation du temps : usage excessif de l’éclairage public, climatiseurs, etc. L’affirmation du droit à la nuit (ou au silence) est inséparable du retour à une véritable densité du temps. » En outre, selon Paul Ariès, « une ville lente refuse le “ hors-sol ” comme le “ hors-temps ”. Une stratégie de relocalisation des échanges et des consciences est inséparable de l’éloge de la lenteur comme une réaffirmation du local. »
La charte de Cittaslow prône donc non seulement la mise en valeur du patrimoine bâti existant, mais aussi le développement des commerces de proximité (avec interdiction progressive des grands centres commerciaux) et le développement des coutumes locales et produits régionaux. Bref, une économie propre et près de chez soi. Des militants du Slow tentent désormais de faire voyager leur philosophie. En réaction aux tours express « l’Europe en une semaine », 5 minutes au sommet de la tour Eiffel, 10 minutes dans la chapelle Sixtine, le site Internet américain Slow Travel – fort de ses 35 000 visites par jour – défend les longs séjours.
Voyager cool
Plus relax, dans un seul lieu et ses environs. « Depuis le démarrage de notre communauté plusieurs tour-operators proposent des offres fidèles à notre optique, explique sa responsable Pauline Kenny. Les Américains cherchent désormais à voyager différemment : ils s’immergent davantage dans les cultures locales en ralentissant leur rythme, en suivant des cours de langue ou de cuisine, etc. Cela correspond aux concepts de Slow Food et Slow Cities dans le sens où cela rend le voyage plus “ humain ”, en laissant le temps de voir la beauté des petites choses. »Ce principe guide aussi Ed Gillespie, un Anglais qui réalise un tour du monde sans prendre l’avion [1]. Cet excentrique Britannique, qui a du temps à perdre, nous a répondu par e-mail depuis la Chine : « Je veux démontrer que les voyages en avion sont inutiles, particulièrement les trajets courts en Europe, nuisibles à l’environnement (à cause des émissions de CO2) et pas aussi drôles ou aventureux que le bateau ou le train. L’avion est certes plus rapide mais en Europe, toutes les destinations sont à moins de 24 heures de train. » Adhérent de Slow Food, Ed Gil lespie prépare un manifeste du Slow Travel avec son ami Jamie Andres. Ce dernier défend les voyages sans CO2 sur www.loco2.co.uk, et compte proposer des offres « slow » pour routards et étudiants, comme le site Day12.
Mais prendre son temps en vacances suppose justement d’en avoir, des vacances… Aux Etats-Unis, où 25 % des travailleurs n’ont pas pris de congés l’an dernier car ils craignent de perdre leur emploi, plusieurs ONG – telles que « Take Back Your Time » ou « Reprends ton temps » [2] – ont lancé une campagne pour la reconnaissance légale des congés payés. Ils réclament trois semaines de vacances et exigent que les candidats à la présidentielle de 2008 en débattent. L’intérêt économique est bien compris du voyagiste Adventure Travel Trade Association (ATTA), qui soutient le mouvement au nom de la santé des Américains : les risques de maladie cardiaque diminuent de 32 % chez les hommes qui prennent des vacances, de 50 % chez les femmes.
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