En voilà un noble objectif qui nous vient de Bruxelles : permettre aux usagers européens de consommer leur électricité de façon futée. Cela passe par un nouveau compteur « intelligent », le Linkys qui communique en direct l’activité des électrons dans la maison. D’ici à 2020, 80% des foyers devront en être équipés tandis que les vieux boitiers (soit 28 millions sur les 35 en marche aujourd’hui) partiront à la casse. Problème : la note pour cette opération s’élèverait à 8 à 9 milliards d’euros, soit deux fois plus que prévu. C’est en tout cas ce qu’a révélé la semaine dernière Le Parisien avec une belle polémique à la clé. Car c’est bien l’abonné d’EDF qui va régler l’ardoise via quelques centimes ajoutés chaque mois à sa facture, sur la petite ligne du Turpe, le Tarif d’utilisation du réseau public d’électricité.
Selon la directive européenne de 2006 qui a lancé le processus, les Etats membres peuvent mener une « évaluation économique à long terme de l’ensemble des coûts et des bénéfices » avant de choisir ou non de généraliser le système. Alors pourquoi l’immense majorité des Linky installés à titre expérimental à Lyon et dans la région de Tours au nombre de 300 000, ne permettent-ils pas de communiquer aujourd’hui ? « Nous avons délibérément limité les fonctions de communication à quelques-uns, en attendant de maîtriser totalement le système », explique François Blanc, responsable du projet chez ErDF, le gestionnaire du réseau de distribution d’électricité. Nous avons toutes les données en main, il est temps de sortir la calculette.
Economies de fonctionnement
Alors, combien ça coûte ? Depuis la polémique, ErDF a revu sa copie et parle de 4,2 à 8,4 milliards d’euros pour l’installation. Soit 120 à 240 euros par abonné. Notre boulier verrait-il double ? « Nous devons rôder le processus industriel de pose de compteurs et étudier minutieusement toutes les situations », justifie François Blanc, qui rappelle qu’on n’en est encore qu’au stade de l’expérimentation. A en juger par les coûts évoqués dans d’autres pays – 250 euros en Californie, 220 euros en Suède, 190 en Grande-Bretagne, etc. – on parierait plutôt sur la fourchette haute…
Pour quels bénéfices ? Selon le cabinet de conseil The Brattle Group, entre 50 et 80% des coûts peuvent déjà être couverts par des économies de fonctionnement pour les gestionnaires de réseau (déplacement de personnel, prévention des coupures de courant, optimisation du réseau, etc.). Ce qui veut dire que l’augmentation du Turpe serait réduite d’autant. En partant sur un pessimiste -50%, resteraient à régler 120 euros.
Les premiers servis économiseront plus
Et pour encore mieux faire passer la pilule, ErDF promet une autre économie pour le consommateur car « lorsque le client est mieux informé, on observe une réduction de sa consommation de 10 à 15% », assure François Blanc. La Commission de régulation de l’énergie parle elle plutôt de 5 à 15%. Un exemple ? Allons-y. Mettons que vous consommez 4 700 kWh par an – ça tombe bien, c’est la moyenne française – et que vous faites un régime de 10%, vous économisez donc 470 kWh soit 50 euros (et 28,5 kilos de CO2). Avec votre Linky installé en 2012, vous pourriez donc gagner 400 euros d’ici 2020. Mais vous pourriez aussi être le dernier servi, le 31 décembre 2019. Et là, pas de conso réduite pour vous (mais rien ne vous empêche de faire des efforts quand même).
Alors quel chiffre rentre-t-on dans notre calculette ? Si l’on considère que le remplacement des compteurs sera régulier sur huit ans, 12,5% des 35 millions de foyers (ErDF a prévu de fournir tous les Français, pas 80% !) seront équipés au bout d’un an et feront donc 10% d’économies. Ces 4 375 000 foyers économiseront 218 750 000 euros. Douze mois plus tard, ce sont 25% des logements français qui seront concernés et 437 500 000 euros qui resteront dans les porte-monnaie. Vous avez compris le principe ? Allez, pas plus de suspense : vous gagnerez 230 euros en moyenne.
Adieu, les pics de consommation
Autre source potentielle d’économies : une réduction de 15% des pics de consommation, grâce à des tarifs incitatifs ou des systèmes automatiques pour couper vos appareils, les radiateurs notamment. Comme ces pointes obligent votre fournisseur à aller faire ses courses auprès des centrales les plus chères (et les plus polluantes), EDF et compagnie récupéreraient ainsi 1,9 milliards d’euros d’ici 2020. Une bonne nouvelle qui – théoriquement – sera répercutée 54 euros et 2,28 tonnes de CO2 de grappillés. Un détail tout de même : les pointes n’en finissant plus de grimper haut en France – janvier dernier a ainsi connu un nouveau record –, elles nécessitent de nouveaux moyens de production. En quelques années, 20 centrales à gaz ont été autorisées en France [1]. Mais l’arithmétique des investissements en matière énergétique dépasse quelque peu notre calculette…
Bilan des courses : vous payez 240 euros mais économisez 120 euros (meilleur fonctionnement) + 230 euros (meilleure information) + 54 euros (moins de pics de consommation). Et voilà 164 euros dans votre poche. A côté de la plaque électrique ? Pour ses 47 millions de compteurs d’électricité et de gaz, le gouvernement britannique table, lui, sur 9,6 milliards d’euros et 17,4 milliards d’économies, soit 167 euros par sujet de Sa Majesté. Le Linky est dans les clous.
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