L’idée a germé à la lecture d’une étude réalisée aux Etats-Unis. Là-bas, 33 % des poissons échantillonnés ne correspondaient pas à l’espèce affichée. Bigre ! Un coup de fil à l’ONG Oceana – instigatrice de l’enquête américaine – et nous voilà lancés dans une grande opération : trouver l’état de la triche à l’étiquette en France. Première étape : munir une centaine de volontaires de kits de prélèvement et d’instructions strictes. Direction, les poissonneries et les restaurants parisiens. Quelques semaines plus tard, nous avons vent de la même opération, menée par l’association Bloom, le Muséum national d’histoire naturelle et l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale). Nous décidons d’unir nos forces. Au bout du compte : 371 échantillons prélevés (1) – abstraction faite de quelques anomalies écartées par les scientifiques – dans toute la France et à tous les rayons : poissonneries, restaurants, plats cuisinés, surgelés… Bien loin des Etats-Unis, nos estimations montrent que la fraude avoisinerait les 4 %. C’est une bonne nouvelle… mais les arnaques existent bien !
Le thon rouge sur la sellette
Les conclusions ? La fraude se concentre sur les produits frais, qu’ils soient vendus en restaurant, en poissonnerie de ville ou de supermarché. Pas de substitution observée dans les plats préparés ou les surgelés. Encore plus éclairant ? Le raisonnement par espèces. Si 6 échantillons de cabillaud sur les 143 prélevés (1) font apparaître de l’églefin ou du lieu noir, c’est surtout le thon rouge qui se retrouve sur la sellette. A une exception près, le poisson étiqueté ainsi dans nos échantillons s’avère être du thon obèse ou de l’albacore ! Le nombre de prélèvements retenus – 5 – est limité, mais tout laisse à penser que des substitutions existent à plus grande échelle. Le taux augmente encore si l’on inclut dans les « fraudes » les cas pour lesquels les serveurs ont précisé : « thon rouge », alors que la carte mentionnait : « thon ». C’est le cas des 16 échantillons collectés dans des restaurants de sushis.Restait enfin à comprendre l’origine de ces petits arrangements avec la réalité. Nous avons donc suivi un filet à la trace, depuis le pont du bateau jusqu’au port de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), du marché de Rungis (Val-de-Marne) à l’étal de la poissonnerie. Le voyage fut édifiant. Et les témoignages des vendeurs pris la main dans le sac très clairs : la fraude se passe plutôt en aval de la chaîne. Là où l’ignorance du consommateur autorise la supercherie. —
(1) Ce chiffre a été modifié par rapport à la version imprimée dans le magazine de mars, à la suite de résultats de dernière minute.
SOMMAIRE
ENQUÊTE De la criée aux étals, sur la piste des arnaqueurs | Mais comment diable un églefin peut-il être vendu comme un cabillaud ? De Boulogne-sur-Mer aux poissonneries, en passant par Rungis, les pros s’expliquent. | |
CHIFFRES Fausses étiquettes : les résultats de notre enquête | Voici les résultats précis de notre enquête réalisée en partenariat avec les ONG Bloom et Oceana, le Muséum national d’histoire naturelle et l’Inserm. | |
SAGA Cabillaud : une passion française | Poisson de pauvres hier, incontournable de notre gastronomie quotidienne aujourd’hui. Comment la morue a-t-elle radicalement changé son image, en quelques dizaines d’années seulement ? | |
ECLAIRAGE Les sushis changent de thon | Vous le pensez rouge ? Il est albacore ou obèse. Vous le rêvez made in France ? Il arrive du Sri Lanka. Bref, le thon cru n’est pas sexy. | |
EN BREF Nos poissonniers sont-ils bien formés ? | En France, une vingtaine d’établissements forment au métier de poissonnier. Qu’apprennent les futurs professionnels ? Explications. | |
GUIDE Petit guide pratique du piscivore averti | Ou comment faire mouche à tout coup lorsqu’on promène son cabas sur le marché ou à la poissonnerie. |
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