« Une hausse des températures de 2 °C ou 6 °C en tant qu’homme, en tant que citoyen, ça m’interpelle. » Lors de la conférence intitulée « L’élevage des ruminants, acteur des solutions climat », qui se tenait les 9 et 10 juin à Paris, Bruno Dufayet, éleveur bovin (viande) dans le Cantal, tentait de remettre les pendules à l’heure : non, le monde agricole, et en particulier l’élevage, ne se désintéresse pas du climat. Les agriculteurs sont même aux premières loges pour constater les prémices du dérèglement climatique : « les sécheresses qui durent un mois, les forts épisodes pluvieux… », énumère-t-il.
Seulement voilà, tout préoccupé qu’il soit, Bruno Dufayet travaille dans un secteur qui contribue à lui seul à plus de 10% des émissions de gaz à effet de serre françaises. C’est la moitié des émissions imputables à l’agriculture, l’équivalent d’un tiers de celles liées au transport. Conscient de ce « paradoxe », l’éleveur croit en la capacité d’adaptation de son métier. « Rien n’interdit de faire une viande à effet positif sur le climat », assure-t-il. « Ruminants climato-neutres », « viande zéro émission » : ces termes revenaient comme des mantras lors des tables rondes réunissant professionnels de l’élevage, chercheurs et responsables politiques. De fait, des marges d’amélioration existent. De là à envisager un mode d’élevage décarboné ? Tour d’horizon des mesures d’atténuation.
Limiter les rots
A elle seule, mais avec ses quatre estomacs, une vache est une usine à gaz à effet de serre (GES). D’abord elle éructe. En clair, elle rote. Son système digestif produit du méthane (CH4), un gaz 21 fois plus puissant que le CO2 en termes de contribution à l’effet de serre. Ce phénomène, la fermentation entérique, produit 39% des émissions de GES liées à l’élevage,selon la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture.
Quel pouvoir l’éleveur a-t-il sur le transit de ses ruminants ? Celui de décider du contenu de leurs auges. En y ajoutant du lin, de la luzerne et du lupin, ces aliments riches en oméga 3, « les vaches rejettent moins de méthane, à hauteur de 12% », selon l’association Bleu-blanc-coeur. Seul bémol, ces aliments sont plus coûteux que le traditionnel menu maïs-colza-soja. « Or, la priorité des agriculteurs reste leur survie économique », commente Jean-Louis Peyraud, chargé de recherches sur l’élevage à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra). Difficile à généraliser, la pratique ne réduira jamais à néant les ballonnements des ruminants.
Optimiser les bouses
A l’éructation, s’ajoutent les déjections. En clair, les bouses et leurs volutes de protoxyde d’azote (N2O), un gaz près de 300 fois plus nocif pour le climat que le CO2. Celles-ci sont responsables de 10% des effluents d’élevage. Les concernant, le mot magique est « valorisation ». En clôture de la conférence, Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, s’est dit déterminé « à sortir de la tête des gens que l’agriculture est un problème. C’est aussi la solution ». Son meilleur exemple ? La méthanisation, ce procédé qui permet de transformer de la matière organique – maïs, épluchures et…excréments – en biogaz. L’enthousiasme du gouvernement pour cette technique doit se concrétiser par l’implantation de 1000 méthaniseurs à la ferme d’ici à 2020, contre une centaine installée actuellement. En attendant, le ministre préconise la « couverture des fosses » par des bâches ou des toitures empêchant le méthane de s’envoler, ainsi qu’un usage accru des déjections pour fertiliser les cultures. « Historiquement, un animal a pour fonction première de produire de l’engrais, rappelle Jean-Louis Peyraud. Mais on a renversé les choses. » La démarche – grosso modo réinventer le fumier – réduirait au passage le recours aux engrais de synthèse, eux-mêmes gros émetteurs de protoxyde d’azote.
Viser l’autonomie alimentaire
Autre caractéristique des ruminants : ils mangent. Même en hiver, quand les prairies ne sont plus aptes à les nourrir. A l’herbage se substitut alors le fourrage, dont la production actuelle est émettrice de gaz à effet de serre. D’une part, via la culture intensive du maïs, qui pèse pour un cinquième du régime alimentaire des bovins. D’autre part, via l’importation de soja, provenant majoritairement du Brésil et souvent cultivé sur les décombres de la forêt amazonienne. « Le maïs est réputé très productif à l’hectare mais c’est un trompe-l’œil puisque, pour faire du lait, il faut à peu près la même superficie de culture de soja », explique Jean-Louis Peyraud. Au final, l’alimentation du bétail produit à elle seule 45% des émissions liées à l’élevage, toujours selon la FAO.
Cette équation n’est pas une fatalité. Au ministère de l’Agriculture, Patrice de Laurens, directeur du service international, préconise « l’introduction de légumineuses dans les rations alimentaires des animaux ». « En semant des trèfles blancs ou violets, des légumineuses et des graminées, on devient plus autonome en protéines », abonde Jean-Louis Peyraud. Une approche d’agroécologie qui pourrait faire dégringoler les importations de soja et leurs émissions.
Conserver les prairies
Pourtant, relocaliser ne suffit pas. En France, « 80% des surfaces arables sont déjà dédiées à l’élevage », selon le Réseau action climat (RAC). Soit directement, avec les prairies sur lesquelles les animaux pâturent, soit indirectement, avec les cultures céréalières, dont la production finit dans leurs gamelles. « Les prairies ont un impact positif sur le climat puisqu’elles absorbent et stockent le CO2 », rappelle Marie-Thérèse Bonneau, agricultrice et représentante de la Maison du lait. A l’inverse, les productions céréalières sont émettrices de GES. « Le problème, c’est le retournement des prairies », déplore Arnaud Gauffier, au sein de WWF. Autrement dit, la conversion de ces espaces herbagés en champs de céréales, procédé qui libère du CO2. « La préservation des prairies » est donc l’une des mesures phares de La ferme laitière bas carbone, un projet de réduction des émissions regroupant 3900 éleveurs laitiers sur six régions.
Les prairies réconcilieraient donc l’élevage et le climat. Sur l’ensemble des émissions liées à l’élevage « 30% sont naturellement compensées », expliquent les interprofessionnelles du secteur dans une synthèse. « Une viande zéro carbone ne peut exister qu’avec la compensation », estime Benoît Leguet, directeur Climat de la Caisse des dépôts et des consignations. Le raisonnement fait tiquer les ONG. « Le stockage du CO2 par les prairies ne doit pas dispenser de réduire les gaz émis par ailleurs », estime Cyrielle Denhartigh, en charge de l’agriculture au RAC. A ses yeux, le procédé est au mieux une facilité, au pire du greenwashing. « Ce sont deux leviers différents, tous deux doivent être actionnés », résume-t-elle. D’autant que dans l’absolu, le maintien des prairies n’est pas indispensable au captage du CO2. « Il faut les conserver pour les paysages et la biodiversité, mais une forêt capture plus de CO2 en quantité », nuance-t-elle.
Elever des animaux efficaces
« Développer l’efficacité alimentaire (…) pour produire les ruminants “climato-neutres” de demain ». Telle est l’ambition affichée par l’Institut de l’élevage. « L’un des leviers, c’est l’âge du premier vêlage », explique Jean-Louis Peyraud. Si une vache donne naissance à son premier veau tard, pendant des mois elle émet du méthane sans produire de lait, de même pour une vache malade. C’est pourquoi il faut travailler à la robustesse du troupeau », explique le chercheur de l’Inra. L’obtention de ces animaux productifs et infaillibles passe par la génétique. « La recherche travaille aussi sur des animaux moins émetteurs. »
Reprenons. L’élevage climat-compatible sera celui d’animaux « efficaces », mangeant du trèfle et de la luzerne produits sur place, sevrés du soja brésilien, le plus souvent possible au pré, et dont les excréments seront « méthanisés » ou se substitueront aux engrais chimiques. La somme de ces actions répondra-t-elle à la promesse d’une viande zéro carbone ? « Ce qui est réaliste, bien qu’ambitieux, c’est une baisse de 15% à 20% des émissions », estime Jean-Louis Peyraud. Soit l’objectif des programmes « Carbon Diary » (le plan carbone de l’industrie laitière) et « Beef carbon » mis en avant par les éleveurs. Le score est pourtant bien en-deçà des ambitions de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) : réduire de moitié les gaz à effet de serre émis par l’agriculture à l’horizon 2050. « Les émissions de GES de l’élevage sont directement liées à la taille du cheptel, et donc à la production et la consommation de viande », expliquait Benoît Leguet. Le scénario AfTerres 2050, contesté par les éleveurs mais référence des ONG, est formel : diviser par deux les émissions agricoles passe par une réduction de notre apport en protéines animales. En clair, même face au plus décarboné des steaks, il nous faudrait de toute façon en manger moins.
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