Ne cherchez plus de Roundup dans un E.Leclerc breton. Entre le printemps 2013 et le printemps 2014, désherbants, anti-limaces et pesticides ont été boutés hors des linéaires par la direction. Dans la grande distribution, c’est la première fois qu’une telle décision s’étend à l’échelle d’une région. « Peut-être parce qu’on est proches des côtes, on est plus sensibles à la pollution de l’eau », avance Jean-Marie de Bel Air, le directeur du magasin de Plougastel (Finistère), à l’origine de l’initiative.
Jusqu’alors, seule une jardinerie avait relevé le défi : l’enseigne Botanic convertie au « zéro-phyto » en 2008. « En 2005, on a commandé une étude sur la dangerosité de nos produits, se souvient Stéphane D’Halluin, son responsable environnement. On a alors découvert que 90% des molécules actives étudiées étaient nocives pour la santé ou pour l’environnement. Avec ces résultats sur les bras, nous n’étions plus crédibles pour parler de respect de l’environnement. » Comme en Allemagne ou au Canada, les pesticides ont d’abord été mis sous clé derrière la caisse, avant d’être complètement abandonnés.
Financièrement, le pari est risqué. En un an, Botanic a tiré un trait sur 2 millions d’euros de chiffre d’affaires. Chez E.Leclerc, ces produits rapportaient 1,2 million d’euros par an sur l’ensemble de la Scarmor, la coopérative bretonne. « Or, on est avant tout des commerçants », rappelle Jean-Marie de Bel Air. Pour convaincre ses 41 collègues d’abandonner cette manne financière, le Finistérien a pris son bâton de pèlerin. Son argument ? « En proposant une alternative pour chaque produit retiré, à terme la perte sera compensée. » Ainsi, les paillages sont devenus les vedettes des nouveaux catalogues. « Notre ambition est d’inciter les gens à changer leurs habitudes. » A grand renfort de plaquettes, les supermarchés bretons vantent désormais les mérites des coccinelles et hérissons, alliés naturels des jardiniers.
Revirement des fournisseurs
Restait à convaincre les fournisseurs, Scotts, Bayer et consorts, de suivre ce tournant. « Ils avaient des gammes vertes mais elles étaient réservées aux réseaux professionnels et peu mises en avant, on a accéléré les choses », se félicite Jean-Marie de Bel Air. Ce revirement fait sourire Stéphane D’Halluin :« Aujourd’hui même Bayer se tourne vers ce marché, alors qu’il y a quelques années, tous nous prédisaient le dépôt de bilan. »
Dans la bataille, les enseignes ont bien perdu quelques clients. « On propose de bons substituts naturels pour les engrais et contre les insectes mais on butte encore sur le désherbage, reconnaît Stéphane D’Halluin. Binette, bâche ou désherbeur thermique, aucune de ces méthodes n’est aussi facile que le Roundup », déplore-t-il. Pour les enseignes qui l’autorisent, le produit culmine toujours au top des ventes du rayon jardinage. Mais Jean-Marie de Bel Air reste persuadé que la clientèle suivra : « Je n’ai reçu aucune protestation mais des dizaines d’encouragements. »
Chez les amateurs, deux bouchons au lieu d’un
Parmi les premiers à applaudir : la Maison de la consommation et de l’environnement (MCE) de Rennes. En 2005, cet organisme a lancé la charte « Jardiner au naturel » pour que les distributeurs s’engagent à réduire leurs ventes de pesticides. Car si les jardiniers amateurs ne consomment que 7% des phytosanitaires, c’est de leur côté que la plupart des surdosages pourraient être évités. « Les particuliers recherchent l’efficacité et sont tentés de mettre deux bouchons au lieu d’un », déplore Cécile Peltier à la Scarmor.« C’est alors au vendeur de les en dissuader » renchérit Patrick Lorie, le président de la Fédération nationale des métiers de la jardinerie, FNMJ. Depuis octobre 2013, tous ont reçu une formation particulière dans le cadre du plan Certyphyto. Pour Patrick Lorie, qui reste favorable « aux produits qui soignent », c’est grâce à cet enseignement que « les volumes de substance active vendus baissent constamment ». Mais pour Stéphane D’Halluin, c’est insuffisant : « A peine 20% des heures de formation sont dédiées aux produits naturels, le reste du temps on parle de conventionnel », regrette-t-il, interrogeant au passage le bien-fondé de ces formations. « A quoi bon dépenser des fortunes à former les vendeurs, alors que tous les pesticides doivent être interdits à la vente dans deux ans ? »
Interdiction totale en 2016 ?
La loi Labbé adoptée en janvier prévoit l’« interdiction de la vente, l’utilisation et le détention » de pesticides par les particuliers d’ici à 2022. Une échéance que Ségolène Royal envisage de ramener à 2016. « Mais on connaît la puissance des lobbys de producteurs, on ne s’enthousiasme pas trop vite », tempère Stéphane D’Halluin.
Malgré l’échéance imminente, la majorité des distributeurs traîne des pieds. Alors certes, leurs linéaires de produits naturels s’allongent : le magasin Jardiland de Brest (Finistère) qui vendait 1 euro de naturels pour 100 euros de conventionnels il y cinq ans en vend pour 50 euros aujourd’hui. Pourtant, comme chez Gamm Vert ou Truffaut, les deux autres leaders du secteur, Jardiland n’a pas encore mis l’arrêt de la vente de « phytos » à l’agenda. De même pour E.Leclerc au niveau national. Son guide d’achat en ligne indique même aux amoureux de glaïeuls qu’ « un traitement par anti-limaces et insecticide doit être lancé aux premières feuilles mangées ». L’initiative bretonne n’est pas plus copiée par la concurrence.
A Plougastel, Jean-Marie de Bel Air compte sur « l’effet papillon ». « Dans les autres régions, les collègues attendent nos retours chiffrés », explique-t-il. Et le directeur est confiant : « Notre perte financière devrait être compensée dès la deuxième année, rien ne nous incite à revenir en arrière. »
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