« On a l’impression d’avoir été violés. On nous a menti pendant des années. » Pascal (1) travaille au Samu, au rez-de-chaussée de l’hôpital, juste en-dessous du service de médecine nucléaire. Il a appris en septembre que des salles de son service étaient exposées à une radioactivité bien supérieure aux normes autorisées. En cause, l’iode 131 utilisé à l’étage supérieur pour soigner les malades du cancer de la thyroïde. Une fois ingéré par le patient, ce produit radiotoxique est éliminé principalement par les urines et évacué dans des canalisations spécifiques vers le sous-sol, où il est stocké dans des cuves dédiées. En chemin, ces gaines radioactives traversent les urgences pédiatriques et le Samu en émettant un rayonnement permanent. D’après un document transmis en interne (voir ci-dessous), il atteint certains mois des valeurs jusqu’à neuf fois supérieures à la limite autorisée. La salle la plus exposée accueille des enfants et des nouveaux-nés, qui y sont soignés par aérosols. Les directions successives connaissent le problème depuis sept ans. Mais pas les salariés, pourtant indûment exposés.
Ce document est un mail du responsable de radioprotection à la directrice de l’hôpital de la Timone. L’exposition en mars 2013 dans la salle 118 (réservée aux aérosols) était de 0,74 millisieverts, soit plus de neuf fois la limite mensuelle admise de 0,08 millisieverts.
Des eaux contaminées partent dans la nature
Le 12 juillet 2013, les canalisations s’obstruent et l’urine radioactive fuit dans un vestiaire du Samu. Il est proposé aux agents présents de faire des analyses urinaires. Pascal travaillait ce jour-là et ne s’est pas fait dépister : « On nous a dit que ce n’était vraiment pas la peine, qu’il n’y avait aucune raison de s’inquiéter. Dans leur façon de nous proposer le test, ils nous ont dissuadé de le faire. » Deux mois plus tard, deux salariés sur les quatre testés dont une femme enceinte apprennent qu’ils sont contaminés à l’iode 131.Dans un courrier d’août 2013 à la direction générale de l’Assistance publique - Hôpitaux de Marseille (AP-HM) (voir ci-dessous), l’ASN relève un troisième dysfonctionnement : à plusieurs reprises entre 2012 et 2013, des eaux contaminées ont été retrouvées dans le réseau pluvial de l’hôpital. Les effluents, normalement stockés le temps de la décroissance radioactive, ont été lâchés dans le circuit d’assainissement, autrement dit dans la nature.
Plusieurs cancers de la thyroïde
Lors d’un Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) extraordinaire tenu le 19 septembre, le chef du service de médecine nucléaire assure que le rayonnement ambiant n’affecte pas la santé des salariés. « Les normes sont absurdes », voici l’argument avancé par le professeur Olivier Mundler lors de cette réunion dont nous nous sommes procuré un enregistrement : « Ce qu’il faudrait demander à l’ASN, c’est sur quelle base scientifique elle a trouvé ces normes, car il n’y en a pas. » Cette valeur limite (inscrite dans le Code de la santé publique) est de 1 millisievert par an : c’est aussi la dose au-delà de laquelle le risque de cancer à long terme est considéré comme « inacceptable » par la Commission internationale de protection radiologique (CIPR). Et d’après Bruno Chareyron, ingénieur et responsable du laboratoire de la Criirad (Commission de recherche et d’informations indépendantes sur la radioactivité), « pour de nombreux scientifiques indépendants, ces chiffres donnés par la CIPR sous-estiment fortement les risques réels ».En attendant, le syndicat Force Ouvrière a fait ses comptes : six salariés ont signalé avoir eu un cancer ou une ablation (totale ou partielle) de la thyroïde depuis qu’ils travaillent au Samu. « Sur le personnel qui fréquente le vestiaire contaminé, cela donne un taux de 10% de personnes atteintes, soit un taux supérieur à la moyenne », soutient Hélène Michelangeli, secrétaire du CHSCT Timone. Selon la Ligue contre le cancer, moins de 4 000 cancers de la thyroïde sont détectés chaque année en France.
L’AP-HM sommée de réagir
L’AP-HM doit maintenant fournir à l’ASN un plan de mise aux normes avant le 31 décembre 2013, sans lequel l’avenir du service de médecine nucléaire sera remis en cause. Des mesures temporaires ont déjà été prises et leur efficacité sera discutée lors d’une réunion ordinaire du Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) qui se tient ce vendredi 8 novembre. L’hôpital a notamment condamné provisoirement certaines pièces des Urgences pédiatriques et le service de médecine nucléaire expérimente sur certains patients un traitement trois fois moins fort en iode 131. Reste tout de même une question : comment cette situation a-t-elle pu durer sept ans, alors que la première alerte de l’ASN (voir document ci-dessous) remonte à 2010 et qu’un rapport d’organisme agréé (2) révèle la non-conformité des locaux dès 2006 ? L’AP-HM n’a pas souhaité nous répondre.En juin 2013, l’hôpital Saint-Antoine à Paris a connu lui aussi une fuite d’effluents radioactifs et en France, 14 incidents de ce type (3) ont été répertoriés par l’ASN entre 2007 et 2012. Quant au public, il semble être en quête de transparence : les risques liés au nucléaire médical représentent aujourd’hui le premier sujet des interrogations citoyennes reçues par la Criirad.
(1) Le prénom a été changé
(2) Nous n’avons pas été en mesure de nous procurer ce rapport. Il a en revanche été très clairement évoqué par le responsable en radioprotection de l’hôpital lors d’une réunion avec les personnels dont nous avons obtenu un enregistrement.
(3) Parmi lesquels cinq incidents ont été classés au niveau 1 sur l’échelle INES de classement des incidents et accidents nucléaires : ceux du mois de juin 2013 à l’hôpital Saint-Antoine (Paris), du 28 juin 2010 puis du 16 novembre 2012 à l’Institut de cancérologie Gustave-Roussy (Villejuif), du 29 juillet 2011 au CHU de Limoges et du 12 novembre 2007 au centre Val d’Aurelle (Montpellier). Les 9 autres, considérés comme de simples « écarts », ont été classés au niveau zéro.
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