Elle traîne dans un tiroir, lourde et patinée. L’antique gourmette de papy Mougeot a déserté les poignets depuis longtemps. Et les annonces qui promettent, en lettres grasses, un rachat d’or à bon prix vous font de l’œil. N’hésitez plus. Revendre son or pourrait être aussi vertueux pour la planète qu’avantageux pour votre porte-monnaie. C’est en tout cas la théorie de Patrick Schein, fondateur et pédégé de « Gold by Gold ».
« Si on n’avait pas de cuivre, on ne pourrait pas transporter d’électricité, si on n’avait pas d’acier, on ne pourrait pas construire de voiture, ni d’avion sans aluminium. Mais si on n’avait plus d’or…, commente Patrick Schein. 40% sert à fabriquer des bijoux, 40 autres à faire des lingots et 15% à 20% entrent dans la composition de produits électronique ou de déco, et pour ceux-là, il y a des substituts. » Mais l’homme n’est pas fou, pas plus qu’il n’est imbécile. Les bijoux, c’est peut-être futile, mais les gens y logent des serments d’amour. Les lingots, c’est peut-être idiot, mais l’or est une valeur refuge. Alors de l’or, oui. Mais en extraire, point. « On a 180 000 tonnes d’or stockés depuis Cléopâtre dont deux tiers dorment chez les gens sous forme de bijoux ou d’investissements », souligne le pédégé. Soit plus de 70 fois la quantité d’or extraite annuellement (2 500 tonnes) dans les mines du monde. Aussi, pour nourrir nos besoins, suffirait-il de tendre la main vers la boîte à bijoux de nos concitoyens. Pas impossible. « Si demain le prix de l’acier est multiplié par vingt, on ne va pas démonter la Tour Eiffel. L’or, lui, est facilement mobilisable », souligne encore Patrick Schein.
200 fois plus propre que l’or vierge
D’autant que l’or recyclé est franchement plus propre que son lointain cousin, dit « vierge ». Le bilan carbone mené par le cabinet Carbone 4 pour le compte de Gold By Gold évoque un rapport de 1 à 200 en kilos de CO2 équivalent. Car recycler l’or évite de l’extraire du sous-sol, un processus gourmand en énergie et en produits chimiques polluants : cyanure, acide sulfurique, notamment. Cela réduit aussi les kilomètres parcourus par le précieux métal. Si les mines s’exploitent en Amérique du Sud, en Afrique du Sud ou encore en Australie, le filon de l’or recyclé peut se trouver en France.Faut-il donc en finir une fois pour toutes avec l’extraction minière. Impossible. « On ne peut pas priver un pays de ses ressources », souligne Florent Taberlet, chargé de programme écosystèmes terrestres au bureau guyanais du WWF. Car les mines drainent des emplois et des ressources financières pour les pays exploitants. Pour celles-là, l’objectif est clair : les conditions de travail doivent être améliorées et les bénéfices rediriger vers les poches de la population locale. « On peut faire un or responsable qui apporte quelque chose aux communautés locales », souligne Florent Taberlet.
Le luxe snobe l’éthique
Or recyclé contre or vierge responsable ? Le salut est peut-être dans l’alliage. C’est la philosophie de Jem (Jewellery ethically minded) né il y a trois ans. D’un côté, cette société de joaillerie travaille avec des mines artisanales certifiées, de l’autre, elle utilise de l’or recyclé. « Ne travailler qu’avec de l’or recyclé, ça ne crée pas de richesse et d’emplois dans les mines. Alors que 110 millions de personnes vivent de l’extraction artisanale », explique Erwan Le Louër, le fondateur de Jem, qui reverse 3% de son chiffre d’affaires à des programmes de soutien aux communautés minières. De la même manière encore, le WWF a lancé l’initiative Sport (« Sportifs pour un or responsable et traçable ») en Guyane. Son objectif ? Que l’or des trophées remis lors des grandes compétitions sportives soit plus vertueux. Pour cela, l’association prône un « mix d’or recyclé et d’or minier traçable de source responsable ».Mais le consommateur dans tout ça ? Sera-t-il sensible à l’effort de la filière. « Aujourd’hui, ce n’est pas un élément déclencheur de l’achat. On n’achète pas un bijou parce qu’il est éthique mais parce qu’il est beau et qu’il est bien positionné en terme de prix. L’éthique n’est qu’une valeur ajoutée », confie Erwann Le Louër. Florent Tarbelet est plus négatif encore : « Le mot recyclé dans le secteur du luxe est connoté négativement, ça fait un peu cheap. » Mais les choses pourraient changer. A l’heure des polémiques autour des OGM ou des conditions douteuses dans lesquelles sont fabriqués composants électroniques ou vêtements, le consommateur réclame de plus en plus de transparence. Le luxe ne pourra, longtemps, se passer d’éthique.
Louera-t-on un jour ses bijoux ?
Aujourd’hui, impossible de savoir d’où vient l’or ou le diamant que l’on arbore fièrement : ni l’origine géographique, ni les conditions sociales ne sont mentionnées dans les boutiques. Mais les choses changent. Du côté de l’or extrait, un label, « Fair trade & fair mined » lancé en 2010 et « favorisant le développement social, environnemental et économique » dans les mines devrait bientôt débarquer en France.Et les bijoux recyclés ? « Il y a une difficulté de traçabilité en amont. On peut craindre qu’il y ait parfois des bijoux volés même si les affineurs sont tenus maintenant de tenir un registre et de demander une pièce d’identité au vendeur. On peut aussi craindre qu’il s’agisse de blanchiment d’or extrait illégalement et transformé en grossiers bijoux », explique Florent Taberlet du WWF. La solution ? Peut-être instaurer un circuit fermé. En clair, recycler l’or rapporté par les clients une fois la mode passée. « J’y ai beaucoup pensé, souligne Erwann Le Louër. J’adore l’idée mais le secteur est encore assez poussiéreux. Vous savez avec Jem, on bouscule déjà beaucoup d’idées. »
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