La bataille est sans merci. Gilles-Eric Séralini, auteur d’une publication controversée sur un pesticide de Monsanto et le maïs génétiquement modifié le tolérant, a beau avoir convoqué la presse jeudi au Parlement européen, s’être entouré de personnalités politiques et scientifiques et menacé la revue Food and Chemical Toxicology (FCT) de poursuites en justice, son article a bien été retiré ce jeudi en fin de journée, soit un jour avant la date prévue, a annoncé par communiqué la revue appartenant au groupe néerlandais Elsevier.
Un retrait qui a suivi le refus catégorique du professeur caennais de se rétracter. Désormais, l’article n’existe plus aux yeux de la revue (même s’il est toujours consultable en ligne). Un coup de massue pour le chercheur qui avait mené la première étude sur les effets à long terme du Roundup de Monsanto et du maïs NK603 lui résistant. Et qui compte bien donner un tournant judiciaire à l’affaire.
Une volte-face après réévaluation
Pourquoi cette volte-face, un an tout juste après la publication de l’article dans FCT, en novembre 2012 ? Et alors même que la publication avait déjà fait l’objet, avant parution, d’une étude approfondie par un comité de lecture... Comité qui avait conclu à la pertinence des résultats montrant que les rats nourris au maïs transgénique pendant deux ans avaient des tumeurs et des pathologies plus fréquentes et plus précoces que ceux suivant un régime sans OGM.
D’après Elsevier, le nombre très important de réactions et de critiques qui ont suivi la publication de l’article de Gilles-Eric Séralini a poussé la revue à réévaluer l’étude – un fait rare. « Ce délai d’un an est dû au temps qu’il a fallu pour recueillir des données complémentaires demandées à M. Séralini et qu’il a délivrées après avoir signé un accord de confidentialité avec ceux chargés de les étudier, ainsi qu’au temps qu’il a fallu pour les évaluer de manière approfondie », explique par mail à Terra eco Harald Boersma, le directeur des relations « corporate » de la revue.
A la suite de cette deuxième lecture, les examinateurs ont conclu qu’« il y a une raison légitime d’inquiétude concernant à la fois le nombre d’animaux testés dans chaque groupe et la souche particulière (de rats – des Sprague-Dawley, ndlr) sélectionnée […]. Les résultats présentés, s’ils ne sont pas incorrects, ne permettent pas de conclure », indique A. Wallace Hayes, le rédacteur en chef de FCT, dans une lettre (en anglais) datée du 19 novembre et adressée à Séralini.
Il admet cependant que « le problème du faible nombre d’animaux avait été identifié lors du processus initial d’examen du papier par le comité de lecture », et qu’on avait décidé à l’époque que le travail « gardait du mérite malgré ses limites ». Dans ce même courrier, « il précise qu’il n’y a eu ni fraude ni falsification intentionnelle de données de la part de mon équipe », paraphrase Gilles-Eric Séralini.
Un retrait pas très éthique
Or, « selon des normes éthiques auxquelles adhère la revue FCT, on ne retire pas une étude quand il n’y a pas fraude ou erreur », ajoute le professeur. Parmi ses supporters, Paul Deheuvels. Ce statisticien et membre de l’Académie de médecine estime d’une part que « les critiques disant qu’on ne peut pas tirer de conclusion de cette étude sont infondées » (il doit lui-même publier une étude à ce sujet dans un ouvrage scientifique à la fin de l’année) et d’autre part que « le même reproche pourrait être fait à Monsanto, qui a justifié la mise sur le marché de ses produits (le Roundup et le maïs NK603, ndlr) à partir d’une étude réalisée en 2004 sur le même nombre de rats ! » Et publiée dans la même revue...
Séralini enfonce le clou. Dans un communiqué de presse que le Criigen (Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie GENétique) dont le professeur Séralini est le président scientifique, a publié jeudi soir, il est indiqué que « la courte étude de Monsanto publiée dans la même revue pour prouver l’innocuité de leur produit comporte erreurs ou fraudes, et ne fait pas l’objet d’une controverse. Bien que réalisée avec la même souche et le même nombre de rats, ses comparatifs sont faux, car les croquettes des rats témoins sont contaminées par des OGM à des doses comparables aux rats traités ». Une assertion bien difficile à vérifier. D’autant plus que Monsanto ne souhaite pas entrer dans la polémique. « Cette affaire se joue entre M. Séralini et une revue », explique Yann Fichet, directeur des affaires institutionnelles de la firme. Sans avoir de « position particulière » sur l’étude du chercheur anti-OGM, il note que ce texte a « suscité beaucoup de remises en cause par des autorités compétentes ». Yann Fichet dit vouloir « des évaluations basées sur la science », et rappelle que les produits de la firme ont été validés par « toutes les autorités dans beaucoup de régions du monde ».
Un deux poids, deux mesures ?
Alors pourquoi l’étude de Séralini – et pas celle de Monsanto, dont il exige aujourd’hui le retrait – a-t-elle été retirée ? Pour le chercheur, le deux poids, deux mesures a une explication évidente. C’est l’arrivée, en février 2013, d’un ex-cadre de Monsanto au sein du comité éditorial de la revue qui aurait changé la donne (Terra eco vous en avait parlé à l’époque). Richard E. Goodman, biologiste à l’université du Nebraska est désormais chargé de donner son avis sur les articles concernant les biotechnologies - un poste qu’il est le premier à occuper au sein du journal. Il a été employé par Monsanto entre 1997 et 2004. Ses accointances avec les industriels ne s’arrêteraient pas là puisqu’il contribue régulièrement aux activités de l’International Life Science Institute. Ce lobby cherche à convaincre les gouvernements d’adopter des méthodes d’évaluations des risques peu contraignantes pour les firmes commercialisant des aliments génétiquement modifiés, et est financé entre autres par BASF, Bayer et Monsanto. En mai dernier, un article paru dans la revue The Independent sciences news s’émouvait déjà de cette création de poste et de cette nomination, brandissant les risques sérieux de conflit d’intérêt.
Contacté par Terra eco, Richard E. Goodman n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet. Mais Harald Boersma s’est chargé de sa défense : « Richard Goodman n’est d’aucune manière impliqué et M. Séralini le sait – le Professeur Hayes le lui a dit au téléphone. M. Séralini a demandé que les personnes qui ont passé en revue les données complémentaires qu’il a fournies pour la réévaluation de son étude signent un accord de confidentialité, et M. Goodman n’en faisait pas partie. » Pour Monsanto, le fait que M. Goodman ait quitté ses fonctions au sein de l’entreprise « montre bien qu’il n’y a plus de liens ». Faux, rétorque Joël Spiroux, directeur du Criigen : « On n’a pas de preuve écrite que c’est Goodman qui a mené la danse, mais on n’est pas niais, on sait comment les messages passent, dans un bon restaurant ».
Des dommages et intérêts « colossaux »
Sur la question des conflits d’intérêt, le directeur des relations publiques de FCT renvoie la balle au chercheur français : « Vérifiez qui a financé son laboratoire », écrit-il par mail. En l’occurrence, Auchan et Carrefour ont contribué aux 3,2 millions d’euros qu’ont coûté l’étude. Liens d’intérêt qui n’ont pas été mentionnés par les chercheurs, relève Boersma.
Le Criigen prépare désormais la riposte. Il vient de saisir les autorités européennes pour le réexamen des études ayant servi aux autorisations des OGM et des pesticides. Conseillé par l’euro-députée et avocate Corinne Lepage, il a contacté un cabinet d’avocats américain spécialiste des problématiques environnementales afin d’obtenir des dommages et intérêts « colossaux », « à la hauteur de l’impact que la rétractation pourrait avoir sur l’équipe de chercheurs mais aussi sur la santé mondiale », explique Joël Spiroux. En effet, pour Corinne Lepage, également membre du Criigen, le retrait de l’article de Séralini a pour but de « rendre impossible les études à long terme sur les OGM et les pesticides. A la question ‘est-ce que les citoyens européens ont le droit de disposer, avant la mise sur le marché, d’études démontrant la non toxicité d’un produit ?’ La réponse qu’on veut nous donner est non. »
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