Le Parlement a adopté ce mercredi 3 avril une loi – proposée par les écologistes – visant à protéger les « lanceurs d’alerte ». Elle vise à renforcer l’indépendance des expertises scientifiques. |
Cette chronique a été réalisée le 15 octobre 2012 par Pierre Le Coz, philosophe spécialiste de l’éthique et Président du Comité de prévention des conflits d’intérêts à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).
Les scandales sanitaires et les controverses scientifiques ne cessent de défrayer la chronique. L’opinion publique s’en trouve informée mais avec un temps de retard, une fois les dommages occasionnés… Malgré les garde-fous juridiques mis en place depuis quinze ans, les mécanismes d’alerte ne semblent pas fonctionner en France aussi efficacement qu’on serait en droit de l’attendre. L’affaire du Médiator est emblématique à cet égard. Le Docteur Irène Frachon (médecin à l’origine du scandale du Mediator, auteure de Mediator 150 mg : combien de morts ? », Editions Dialogues.fr, 2010, ndlr) s’est heurtée à un mur de préjugés et d’intérêts dissimulés. Il aura fallu le concours de personnalités extérieures au monde médical (politique, journaliste, éditeur…) pour qu’un médecin de terrain puisse enfin être entendue. Ce scandale a démontré que nous en étions restés à une vision idéaliste et élitiste de l’expertise.
L’expertise est une affaire trop sérieuse pour être confiée aux seuls experts attitrés. Lanceurs d’alerte et militants associatifs exercent un nécessaire contre-pouvoir. C’est pourquoi la liberté de parole et de critique en la matière mériterait d’être mieux garantie par les pouvoirs publics. Chercheur ou non, un lanceur d’alerte de bonne foi devrait pouvoir faire entendre sa voix et bénéficier de l’assistance judiciaire. Il ne fait jamais qu’exercer sa responsabilité de citoyen. N’oublions pas que depuis 2005, la Charte de l’environnement a érigé la protection de l’environnement au rang des devoirs de chaque citoyen. Si nous avons connaissance d’un risque de dommage grave et irréversible pour l’environnement ou la santé publique, nous avons le devoir d’alerter nos concitoyens comme s’il s’agissait d’un devoir à assistance à personne en danger.
La haute autorité de l’expertise : une fausse bonne idée
Mais comment faciliter l’alerte ? Certains sénateurs ambitionnent la création d’une « haute autorité d’expertise ». C’est à elle que les associations ou les lanceurs d’alerte pourraient s’adresser. On remarque le côté prétentieux et pompeux de l’expression « haute autorité ». Qui veut-on encore impressionner en cette sinistre époque de suspicion généralisée ? Surtout, on reconnaît une bonne vieille manie française : dès qu’il y a un problème, on crée une commission pour s’en débarrasser. On lui confie la mission de réussir là où toutes les précédentes ont échoué.
Avons-nous vraiment besoin d’une agence supplémentaire à toutes celles qui saturent déjà le paysage institutionnel français ? Quelle sera sa réactivité ? Sur la base de quels critères seront désignés les membres de cette élite d’hyper-experts ? On sélectionnera les personnalités les plus qualifiées, celles qui sont généralement affairées par leurs multiples activités. Une nouvelle usine à gaz se prépare.
Renforcer les comités de déontologie
Nul ne peut pas savoir tout sur tout : environnement, médecine, santé animale, etc. Il conviendrait de privilégier une voie plus empiriste et pragmatique. Par exemple, on pourrait donner plus de poids et de visibilité aux comités de déontologie déjà existants et essayer d’harmoniser leurs modes de fonctionnement. L’Anses s’est dotée d’un comité de déontologie et de prévention de conflits d’intérêts depuis 2011. Ce comité est indépendant ; aucun de ses membres n’est salarié de l’Agence. Il jouit d’une totale liberté pour auditionner des personnalités d’horizon divers, du militant associatif au député européen. Leur audition reste confidentielle. Les membres du Comité ne sont pas des experts ; ils ont une formation juridique ou philosophique. Ils rendent des avis à la suite de saisines qui peuvent provenir du Directeur ou du conseil d’administration de l’Anses. On pourrait imaginer un système où des saisines venues de la société civile soient transmises au Comité de déontologie par le biais des autorités de l’Anses.Dans l’affaire des OGM, il y a un aspect scientifique (combien y avait-il de rats, de quel type de rats s’agissait-il, sur quelle échelle de temps l’étude s’est-elle déroulée, dans quelle revue a-t-elle été publiée, etc.). Mais en dehors de cette interrogation sur la rigueur méthodologique, il faut se demander si les parties prenantes sont impartiales. Que ce soient les membres de l’équipe de recherche de Caen ou leurs ennemis jurés (ceux qui contestent avec véhémence la scientificité de l’étude), la société a le droit de savoir s’ils ont des conflits d’intérêts. Ici le Comité de déontologie et de prévention des conflits d’intérêts aurait son mot à dire.
Accélérer le processus de déclaration des liens d’intérêts
La loi sur la sécurité sanitaire rend obligatoire une déclaration universelle d’intérêts. Elle est parue au journal officiel du 5 aout 2012. Chacun est tenu de dire s’il travaille pour un laboratoire privé ou s’il est actionnaire de telle ou telle firme de biotechnologie. Or, Beaucoup d’experts ne sont au courant de rien, ignorent qu’en cas de manquement à leur obligation de déclaration d’intérêts, ils encourent des sanctions pénales. Il est urgent que nous nous décidions à jouer la carte de la transparence, comme cela se passe à l’étranger depuis de nombreuses années.
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