Les ceps en sont encore tout secoués. Le 14 mai, la cour d’appel de Colmar (Haut-Rhin) a décidé de relaxer 54 faucheurs volontaires qui, en août 2010, avaient arraché dans la même ville des porte-greffe de vigne transgéniques, censés résister au virus du court-noué. Dès l’arrachage médiatisé, une question a été soulevée : cet essai sur la vigne servait-il la recherche, et donc l’approfondissement des connaissances, ou avait-il pour véritable objectif une valorisation commerciale ? Par ricochet, est-il légitime d’étendre la lutte contre les OGM à des fins commerciales à ceux utilisés pour la recherche appliquée ? Faut-il, parce qu’on veut un avenir sans OGM, interdire toute recherche sur le sujet ?
En 2010, après l’action des faucheurs, des propos de la direction de l’Inra (Institut national de la recherche agronomique) ont semé le trouble. Elle affirmait tout à la fois que cet essai visait à maintenir « l’existence d’une expertise impartiale au-delà de celle des entreprises internationales » comme Monsanto, mais aussi que sa destruction faisait prendre le risque de « voir la France incapable de développer des produits alternatifs à ceux des grandes firmes ». Une phrase du communiqué diffusé le 14 mai et signé de François Houllier, président de l’Inra, suscite la même interrogation. Il y écrit : « Pouvons-nous laisser à d’autres la maîtrise des technologies les plus récentes et brider ainsi la compétitivité des entreprises françaises et européennes sur les marchés étrangers ? »
Une commercialisation en ligne de mire ?
En fin de compte, à quoi ces essais étaient-ils destinés ? « A partir du moment où l’on passe au champ, c’est qu’on a déjà la commercialisation en ligne de mire », assène Christophe Noisette, rédacteur en chef du site de veille citoyenne Inf’OGM, très critique envers cette technologie et qui décortique le sujet depuis quatorze ans. Selon lui, si l’on continue à investir beaucoup d’argent dans la transgenèse alors que le budget de la recherche est de plus en plus limité et que des solutions alternatives existent (comme la lutte biologique contre les nématodes, ces minuscules vers qui transportent le virus du court-noué), c’est non seulement « pour garder cette connaissance au cas où la commercialisation serait un jour autorisée », mais aussi parce que « les organismes de recherche sont poussés vers plus de compétitivité, plus de partenariats public/privé. La collusion entre les deux est gênante et, sur ce sujet, entretient le doute et la méfiance. »
« On a été accusés de travailler pour Monsanto, mais c’est hors sujet ! A qui profiterait ce crime ? Pas à nous ! », réagit Olivier Le Gall, directeur général délégué de l’Inra. Qui reconnaît toutefois que cet essai sur la vigne a été lancé dans les années 1990 (même si les vignes n’ont été plantées qu’en 2003), avec un partenaire industriel. A l’époque, la valorisation commerciale était à l’ordre du jour. « Mais depuis, la démocratie a fait le choix de ne pas produire d’OGM, le partenaire s’est retiré, et donc on a continué seuls l’expérience, pour la recherche », explique-t-il.
Expérimenter d’accord, mais dans quelles conditions ?
Pour Christian Vélot, maître de conférence en génétique moléculaire à l’université Paris-Sud-11 connu pour lutter contre les essais en pleine nature, faire des expérimentations sur des plantes génétiquement modifiées peut s’avérer nécessaire pour acquérir des connaissances, mais elles doivent être réalisées dans des conditions de confinement appropriées, avec un haut niveau de sécurité, pour éviter toute dissémination. En appel, la justice a épinglé l’Inra pour n’avoir pas assez protégé son expérience. « Le plein air, c’est le niveau zéro du confinement, alors que cet essai présentait d’importants risques de dissémination, notamment de nouveaux virus. L’environnement n’est pas une paillasse de laboratoire », s’insurge le membre du conseil scientifique du Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique (Criigen), qui réfute l’innocuité des OGM (et dont fait également partie Gilles-Eric Séralini, qui a signé une étude sur les effets à long terme chez les rats du maïs Mon810 de Monsanto).
De son côté, l’Inra rappelle que ces essais étaient réalisés dans des conditions réglementées, renforcées par un comité de suivi composé de représentants de la société civile qui ont imposé des limites strictes à l’expérience. Pour Olivier Le Gall, le but « était de répondre aux objectifs assignés à l’Inra : produire de la connaissance, éclairer la décision publique concernant les OGM et en évaluer les risques. Ce qui n’est vraiment possible qu’en conditions réelles et non en laboratoire confiné. Or, si on ne peut plus travailler sur les risques, on ne peut pas contribuer à la connaissance dans ce domaine, et ce n’est certainement pas Monsanto qui va le faire. Si on veut se protéger des OGM à l’importation, il faut bien avoir une expertise sur ce que c’est ».
La poursuite en justice des faucheurs se serait-elle transformée en mauvais procès contre l’Inra ? « Oui », répond le directeur général délégué de l’Inra, qui rappelle que, dans le monde, les OGM poussent désormais sur 170 millions d’hectares, soit sur une surface cinq fois plus grande que l’ensemble des terres agricoles françaises.
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