De prime abord, la construction évoque les édifices en kapla de notre enfance. La vague de nostalgie se dissipe une fois sa mission lugubre dévoilée. « Il s’agit d’un tour mémorielle », explique Axel de Stampa, architecte français qui, avec son acolyte Sylvain Macaux, a co-imaginé ce bâtiment virtuel. « Chaque module en béton représente un ouvrier mort sur les chantiers des stades de la Coupe du monde 2022 », poursuit-il.
Confiscation des passeports, travail de titan sous 50°C, salaires de misère – avoisinant les 210 euros mensuels pour soixante heures de travail hebdomadaires – et logements indignes : sur les chantiers qataris, les conditions de travail des ouvriers, immigrés pour 94% d’entre eux, sont proches de l’esclavage. En 2012 et 2013, près d’un millier de travailleurs népalais, indiens et bangladais y ont perdu la vie. Avec les grands travaux engagés en vues de la Coupe du monde 2022, ce macabre compteur risque de s’emballer. Les seuls chantiers engagés en vue de l’événement ont déjà entraîné la mort de 382 ouvriers népalais et 500 indiens, selon les ambassades de ces deux pays à Doha. De son côté, le Qatar se garde de recenser les accidents. Mais la Confédération syndicale internationale (CSI) craint que la barre des 4 000 victimes soit franchie d’ici à 2022. « Si l’hécatombe se poursuit à cette vitesse, notre tour virtuelle fera 1,5 km de haut », traduit Axel de Stampa dans son langage d’architecte.
Raconter l’actualité en maquettes numériques est devenu la spécialité de l’agence franco-chilienne « 1 project, 1 week ». Dans ce bastion de jeunes architectes, les Coupes du monde de football inspirent. En juillet dernier, le même binôme proposait de reconvertir les stades du Maracanã en logements, pour palier la pénurie que connaît le Brésil. Cette fois, c’est un article du Guardian qui leur a mis la puce à l’oreille. Interrogée par les journalistes britanniques, l’architecte Zaha Hadid, qui a designé le principal stade du futur Mondial, renvoyait la responsabilité de ces drames au gouvernement du Qatar. « Ce n’est pas de mon devoir, en tant qu’architecte, de regarder ça. C’est au gouvernement du Qatar de s’en occuper », affirmait-elle alors. Une position qui fait tiquer l’équipe de « 1 project, 1 week ». « L’architecture touche à la ville et au social, on se doit de lancer des débats », estime Axel de Stampa. Depuis, la star de l’architecture s’est expliquée, se défendant d’être insensible au sort des travailleurs et déplorant de voir ses propos rapportés hors contexte. Fidèles ou non à sa pensée, ses mots faisaient écho à ceux de Sepp Blatter, le président de la Fifa, qui, toujours selon le Guardian, estime que le bien-être des ouvriers des chantiers du Qatar « n’est pas de la responsabilité de la Fifa », mais de « celle des maitres d’ouvrage des chantiers ».
Au delà de ce jeu de ping-pong, l’agitation autour des damnés de Doha, comme les désigne Le Monde, pourrait se transformer en « catalyseur de changement », veut croire la Confédération syndicale internationale. Dans un rapport publié en mars 2014, l’organisation présente la Coupe du monde 2022 comme une occasion rêvée de mettre un coup de projecteur sur les dégâts du système Kafala, qui met les travailleurs migrants sous la coupe de leurs employeurs. « Des centaines de travailleurs pourrissent en centre de détention à Doha, simplement pour avoir tenter d’échapper à des employeurs aux comportements abusifs ou violents », souligne Sharan Burrow, le secrétaire général de la CSI.
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