Elle nous reçoit dans un bureau sens dessus dessous, jonché de livres et d’articles, à quelques jours du point final d’une enquête de deux ans, la cinquième consacrée à ce qu’elle appelle « la machine agro-industrielle ». En ce début février, le sapin de Noël trône encore dans le salon de sa maison de Pierrefitte, en banlieue parisienne. Dans quelques jours, elle s’envole pour l’Argentine pour y témoigner au procès de deux membres de la junte militaire au pouvoir entre 1976 et 1983. Un procès que son enquête Escadrons de la mort, l’école française, parue en 2003, a contribué à déclencher. Elle y révélait comment la France a exporté les techniques de la guerre d’Algérie pour former les militaires argentins à la torture et au renseignement. « C’est à cela que sert le journalisme, se réjouit-elle. Nous ne sommes pas là pour tendre le micro à n’importe qui sans vérifier. Nous devons être des lanceurs d’alerte. » Le mot est lâché. Elle se revendique d’Albert Londres et fait sienne la formule du reporter, citée sur son blog : « Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, c’est de mettre la plume dans la plaie. » Elle taille donc dans le vif, avec un appétit certain pour la question des droits de l’homme et celle de la protection de la nature.
Enracinement affectif
Née dans une ferme des Deux-Sèvres, la journaliste ne cache pas son enracinement affectif sur ce terrain de l’investigation. Dès 1997, elle enquêtait sur La faillite des paysans, qui reçut le Prix société au Festival d’Angers. Dans Notre poison quotidien, elle parle ouvertement de ses origines. « Quand je suis allée à cette réunion de paysans malades à cause des pesticides, à 100 kilomètres de chez mes parents, j’étais émue et je trouvais honnête de le dire dans le documentaire. » Membres de la Jeunesse agricole catholique, les Robin, figures engagées du monde paysan, ont embrassé la révolution verte parce qu’elle leur semblait, comme à de nombreux agriculteurs d’après-guerre, un outil fabuleux de modernisation du métier. « Mon père était en groupement agricole d’exploitation en commun, avec cinq associés. Deux sont morts très jeunes de cancers et de maladies graves, qui sont liées, pour moi, très évidemment aux pesticides. Je l’ai compris en faisant mon enquête sur Monsanto, qui a d’ailleurs été une révélation pour toute la famille. »
« Ce travail vous bouffe vos jours et vos nuits »
A partir d’un cas qu’elle espérait isolé, elle décide d’élargir son champ d’investigation à tout un système : celui de la réglementation des produits chimiques. Et elle le déconstruit. Chaque film permet de faire le tour d’une problématique, puis lui ouvre d’autres questions. « Tout est relié, il faut reconstruire le puzzle patiemment et remettre de la cohérence. Si le système de réglementation que je dénonce est toujours debout, c’est parce que personne n’est allé y mettre son nez. On n’arrête pas de nous dire : “ C’est très compliqué, faites-nous confiance. ” Depuis sept ans, je tire les fils d’une longue pelote qui, petit à petit, me conduit au cœur de ce qu’Ulrich Beck appelle “ la société du risque ”, la face cachée de la société de consommation », explique-t-elle.
En concertation avec Arte, la journaliste a mené cette dernière enquête à la première personne pour mieux incarner ce sujet qui, depuis Le monde selon Monsanto, lui colle à la peau. « A un moment, elle avait même pensé commencer son film en présentant le calcul de sa charge chimique corporelle », raconte Françoise Boulègue, qui a monté plus de 30 documentaires avec Marie-Monique Robin. Cet engagement personnel lui vaut des déclarations d’amour… et de haine. Son blog est investi par les commentaires de détracteurs virulents qui l’accusent de militantisme, d’incompétence et de bien pire. Pour les lobbys et les multinationales de l’agrobusiness, elle est devenue un poison, dont l’effet augmente avec la notoriété. « D’abord, je lis beaucoup : des études, des rapports, des journaux, des livres… Pour cette enquête, je me suis fait envoyer une centaine de livres depuis les Etats-Unis. Je ratisse large pour amasser un maximum d’infos en français, en anglais, en allemand et en espagnol. Puis, je rencontre des experts ou “ grands témoins ” et enfin, je pars en tournage. Ce genre de travail vous bouffe vos jours et vos nuits », dévoile-t-elle. Obstinée, la journaliste l’est au point, parfois, d’aller au clash. En 2008, l’un de ses producteurs, Galaxie Presse, avait voulu lui faire raccourcir le documentaire Torture made in USA car il dépassait le budget. Elle avait catégoriquement refusé. « Elle a les défauts de ses qualités », sourit Françoise Boulègue, sa monteuse.
Bio dans l’assiette et sous la douche
Malgré la pression des lobbys industriels, la journaliste croit au sursaut citoyen. « Moi-même, j’ai été estomaquée par ce que j’ai découvert. Beaucoup de gens viennent me voir après les projections en me disant qu’ils sont bouleversés. Je le dis dans mon documentaire : savoir, c’est pouvoir. » Elle n’a pas attendu ses enquêtes pour bannir McDo des menus familiaux et ne boit du Coca qu’en cas de tourista dans la jungle amazonienne. Fin gourmet, elle a converti ses trois filles aux plats bio faits maison, mais guerroie encore pour imposer les shampoings bio, qui ne moussent pas assez au goût de ses adolescentes. Gestes quotidiens apparemment anodins, mais qui relèvent, elle en est persuadée, de la survie de l’espèce. Dans son prochain documentaire, elle va tenter de contrer l’argument qu’on lui a servi maintes fois : on ne peut pas nourrir le monde sans pesticides. Ce projet cherchera à panser les plaies ouvertes par ses précédentes investigations. —
Lire aussi ici le compte rendu du documentaire Notre poison quotidien.
------------------------------------------------Marie-Monique Robin en dates
1960 Naissance dans les Deux-Sèvres
1995 Elle reçoit le prix Albert Londres pour son documentaire « Voleurs d’yeux »
2005 « Les pirates du vivant »
2008 « Le monde selon Monsanto »
2011 « Notre poison quotidien »
Ses gestes verts Elle est en train de faire son potager bio, est inscrite à une Amap et n’achète « jamais une boîte de conserve ».
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