Nous sommes en 2015. Monsieur Dupont et monsieur Durand vont se marier à la mairie du village. Ils partiront ensuite au Vietnam pour réaliser leur rêve : adopter un enfant. Echec. Le pays refuse de confier ses orphelins aux homosexuels. Monsieur Durand part alors seul chez les voisins chinois et se fait passer pour un célibataire hétérosexuel. Echec à nouveau, la Chine a flairé l’embrouille et n’accepte plus les dossiers des célibataires. Mademoiselle Martin est célibataire « pour de vrai », qu’elle dit ! Les autorités ne veulent plus rien entendre. Elle non plus ne pourra adopter. Pourtant, la loi, en théorie, le lui permet.
Le projet de loi du « mariage pour tous », qui ouvrirait le droit à l’adoption aux couples de même sexe, est proposé au Sénat ce mercredi 13 février – après avoir été adopté par les députés mardi 12. Mais ce droit pourrait rester uniquement symbolique. Auditionnée à la commission des lois jeudi 7 février, la directrice de l’Agence française de l’adoption (AFA), Béatrice Biondi, avançait que le droit des couples gays à adopter à l’international comportait, par effet de ricochet, le risque « de la fermeture de l’adoption par les célibataires ».
L’équation semble tordue. Et pourtant, l’inquiétude de l’AFA est déjà une réalité. « Le profil d’adoptant idéal, c’est un couple marié, plutôt jeune, en bonne santé et avec un bon emploi », précise une porte-parole de l’AFA. Comment ça se passe ? Monsieur et madame Tartampion, mariés, la quarantaine, veulent adopter un enfant. En France, les possibilités sont très réduites, même pour le duo « idéal ». « Entre 600 et 800 enfants sont abandonnés chaque année en France », explique-t-elle. En somme, la France recense peu d’orphelins – et tant mieux. En revanche, elle compte beaucoup de candidats à l’adoption. En 2011, 27 000 parents avaient déposé une demande. Forcément, certains se tournent vers l’étranger. Aujourd’hui, l’adoption internationale représente plus de 80% de l’adoption en France.
L’international n’est plus la voie royale
Sauf qu’à l’heure actuelle, l’adoption à l’étranger, même pour notre couple – soi-disant – parfait, est le parcours du combattant. Au début des années 2000, quelque 4 000 enfants de toutes nationalités étaient adoptés par des Français. En 2011, leur nombre se réduit à 1995. Car les pays qui ouvraient autrefois leurs portes tendent à privilégier les adoptions à l’intérieur de leurs frontières. Monsieur et madame Tartampion triment à trouver leur futur bout de chou. Mais leur calvaire n’a rien de comparable à celui de leur voisine célibataire, mademoiselle Martin.
Les personnes seules qui adoptent sont extrêmement minoritaires. Elles peuvent tout à fait faire une demande puisque l’article 343.1 du code civil précise que « l’adoption peut être aussi demandée par toute personne âgée de plus de 28 ans ». D’après l’AFA, les couples mariés représentent 83% des adoptants. La proportion des célibataires femmes est de 16%, les célibataires hommes, 1%. Courage messieurs ! Mais n’y croyez pas trop. Certains Etats n’acceptent déjà plus les célibataires dans leur législation. C’est le cas notamment du Chili, qui impose aux adoptants d’être un couple marié depuis au moins deux ans. Même son de cloche au Burkina Faso, à Madagascar, en Chine...
Homosexuels, prouvez votre hétérosexualité !
Alors très bien. Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Si le mariage pour tous est adopté en France, les couples homosexuels mariés n’auront aucun problème à adopter un petit poupin Outre-Atlantique ! Ah mais non, car l’homosexualité reste un critère de dissuasion du côté des autorités. Elle est encore condamnée dans près de 70 pays. Au Vietnam ou en Lettonie, un candidat devra fournir une attestation de concubinage qui prouve que le partenaire est du sexe opposé. « Cela revient à prouver son hétérosexualité », tranche cette porte-parole de l’AFA.
Finalement, il ne reste que de rares pays gay friendly, question adoption. Les Etats-Unis, le Brésil et l’Afrique du Sud. Or, à Pretoria, seuls deux à trois enfants sont adoptés par an. Washington est une terre dite d’accueil. Donc si un enfant est abandonné, il est en priorité proposé aux Américains. Et pour enfoncer le clou, l’AFA n’a pas de partenariats avec ces trois pays.
Il faut donc passer par l’un des 30 organismes autorisés pour l’adoption (OAA). « Mais ces opérateurs privés prennent le meilleur candidat. » Comprendre, pas les canards boiteux de l’adoption - les célibataires, les homosexuels. Ces futurs parents qui n’ont pas le faciès parfait du couple quadra posent donc leur dossier à l’Agence française de l’adoption, cette agence qui n’a pas de contact avec les rares pays pouvant satisfaire les adoptants...
Le célibataire, suspect numéro un
Le ministère des Affaires étrangères, en répondant au Monde en octobre dernier, jugeait que les candidats homosexuels à l’adoption auraient plus intérêt à « continuer à se présenter en tant que célibataires, même après la loi ». L’historien Yves Dénèchère, auteur de Des enfants venus de loin, histoire de l’adoption internationale en France (Armand Colin, 2011) explique que « beaucoup de pays sources se méfient des candidatures de célibataires, pensant qu’elles cachent des couples homosexuels ».
Finalité, aux yeux des autorités, le célibataire cache un homosexuel. La Chine, qui a dépénalisé l’homosexualité en 1997, a soudainement refusé les dossiers de célibataires dès 2007. « Les Chinois ont entendu parler du mariage pour tous, explique la représentante de l’AFA. Du coup, ils ont refusé les dossiers des célibataires et ont clairement dit, “on veut un couple”. Pour les Chinois, un couple, c’est un homme et une femme. Point barre. Il y a tellement de demandes qu’ils se permettent de faire le tri, selon leurs critères. »
Faux espoirs pour les parents
Le mariage pour tous était une promesse électorale de François Hollande. En pleine campagne, il avait lui-même reconnu que « les pays dont sont originaires les enfants continueront à choisir souverainement les conditions dans lesquelles ils acceptent que ces enfants soient adoptés ». La représentante de l’AFA en soupire. Les images du couple qui a adopté une petit bébé tout mimi, c’est du vent. « Mon boulot, c’est de casser du rêve. »
Comme tous les parents adoptants, les hétéros célibataires, les hétéros mariés, les gays seuls ou les homos en couple, « tous veulent la même chose : de jeunes enfants en bonne santé ». La moyenne d’âge d’un enfant adopté par les Français est de 4 ans et demi. Dans l’idéal, les parents espèrent un bébé entre 0 et 3 ans. Pour les célibataires, ce ne sera jamais le cas. La Colombie, l’un des pays où les Français adoptent le plus, a écrit dans sa législation que les célibataires ne peuvent adopter un enfant ayant moins de 8 ans. Les bébés sont réservés aux couples mariés âgés de 25 à 39 ans.
L’enfant rêvé n’existe presque plus. Les candidats se voient souvent proposer des fratries et des enfants atteints de pathologies. La professionnelle de l’adoption le regrette : « Il ne faut pas donner de faux espoirs. Si des gens veulent vraiment adopter, il faut qu’ils comprennent qu’aujourd’hui, ils doivent revoir leurs rêves, changer leur projet. »
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