Terra eco : Comment peut-on aider aujourd’hui les agriculteurs ?
« Un peu d’histoire pour commencer. Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, on a rémunéré les agriculteurs sur le prix de leurs produits, grâce à des protections aux frontières et des taxes douanières. Faire des céréales, du sucre, du lait et de la viande (dans une moindre mesure) était un gage de stabilité. On est alors rapidement passé d’une situation déficitaire sur ces produits à une situation excédentaire. A l’inverse, le système dissuadait de cultiver des protéagineux [1].
Puis, pour faire face à l’excédent et maintenir le niveau de production, première grosse erreur, on a mis en place des subventions à l’exportation, ce qui a constitué un dumping inacceptable et causé un grand tort aux pays pauvres. Aujourd’hui, on s’est aligné sur les prix internationaux, mais on rémunère toujours les agriculteurs par des aides compensatoires, ce qui, aux yeux des Brésiliens ou des Argentins, reste une forme de dumping, d’ailleurs dénoncée par l’OMC. Il faut vraiment en finir avec ces aides, ces subventions de la PAC sont illégitimes et, qui plus est, inégalement réparties. Ça me rend malade d’entendre aujourd’hui certains agriculteurs demander encore et toujours des subventions ! »
Dans son nouveau projet politique, le PS suggère de « rémunérer les agriculteurs pour les services environnementaux et sanitaires rendus ». Est-ce que ça peut être une source de revenu souhaitable et substantielle pour les agriculteurs de demain ?
« Peut-être. Mais si on veut aider les agriculteurs et les maintenir droits dans leurs bottes, il faut les rémunérer - et pas seulement les payer – correctement, et ce d’abord sur la base de leurs produits. Le plus important, c’est d’agir sur les prix. Ce qui est possible si les produits sont de qualité, comme le bio ou les appellations d’origine protégées. On peut rendre ces produits plus accessibles pour le consommateur et plus stables pour le producteur en systématisant des commandes publiques pour la restauration collective (des écoles, des entreprises, des hôpitaux...). Cela permettrait en outre de faire émerger localement des circuits de taille critique et des centrales d’achat capables de rivaliser avec celles de Carrefour, d’Auchan ou de Monoprix. Et donc de réduire les coûts de commercialisation.Ensuite, on pourrait mettre des quotas sur les produits excédentaires. Ce serait plus jute, car en exportant à bas prix nos surplus de poudre de lait ou de céréales, on continue de faire souffrir les pays du Sud. Et ce serait plus équilibré, car en produisant moins ces denrées, on libérerait des terres pour des prairies temporaires, riches en légumineuses, qui nous éviterait d’importer du soja OGM. Dans le même mouvement, il faut renforcer les droits de douane à l’importation sur le soja. Tout le monde y gagnerait. Vous savez, les Brésiliens eux-mêmes trouvent stupide de produire autant de soja pour nourrir nos cochons plutôt que de nourrir leur population. Un tel deal peut se négocier au niveau de l’OMC. »
Et par ailleurs, transformer les agriculteurs en gardiens du temple, en les payant pour protéger l’environnement, vous y croyez ?
« Rémunérer les agriculteurs sur la base de services environnementaux rendus à la communauté est une vraie piste. A condition que cela ne soit pas fixé par un cahier des charges standard rédigé à Paris, mais qu’on touche réellement à la nature des productions agricoles, via des contrats négociés localement, par les régions, en évaluant le potentiel du terroir. C’est un peu le sens des contrats territoriaux d’exploitation que la gauche veut réactiver. Vous savez, recultiver des légumineuses permet de lutter contre l’effondrement des abeilles, la rotation des cultures sols favorise la reconstitution de l’humus dans les sols, remettre des haies est bien utile pour les coccinelles qui se nourrissent de pucerons, etc. Autant de service rendus à la biodiversité ! Il y a quelques régions, comme Poitou-Charentes avec son soutien aux producteurs de lait de chèvre, qui ont bien compris cela. »Les agriculteurs – les mêmes à qui on demandait hier de se lancer dans la course aux machines et au rendement - sont-ils prêts à entreprendre de tels changements ?
« Depuis toujours les agriculteurs disent qu’ils ne veulent pas de mendicité. Donc on doit pouvoir sortir de la logique subventions/compensations. S’ils résistent - je ne parle pas là de l’avant-garde syndicale mais du gros des troupes – c’est parce qu’ils ont fait de lourds investissements pour le type d’agriculture dominant que l’on connait. Si on veut les faire revenir à une diversification de leurs activités, il faut des dispositifs très incitatifs.Les agriculteurs ont été trompés par l’industrie, par l’État, par les syndicats. A un céréalier français qui veut aujourd’hui diminuer ses coûts, il faut dire la vérité : ce n’est pas en élargissant les surfaces qu’il cultive qu’il parviendra à être plus compétitif ; à ce jeu là, il perdra toujours face au céréalier ukrainien. Mais il peut y arriver, en diminuant ses engrais, sa consommation de carburant, en revenant vers des produits de qualité, de terroir, à une agriculture hautement productive et à forte valeur ajoutée environnementale. C’est vrai, c’est une révolution des mentalités, et il y a de quoi être paniqué. Mais c’est aussi parler franc – et c’est ce qu’ils attendent - que de leur dire qu’il n’y a pas d’autre voie à suivre. Sinon on va droit dans le mur. »
Marc Dufumier, agronome, est professeur d’agriculteur comparée et développement à AgroParisTech. Membre du Comité de veille écologique de la Fondation Nicolas Hulot, il a fait partie du Comité de soutien à Europe Écologie lors de la campagne des régionales 2010.
Agenda : Marc Dufumier donnera une conférence ouverte à tous, jeudi 27 mai 2010 à la faculté de médecine de Nantes (à 19h15,amphi Kerneis), sur le thème : « Comment nourrir l’humanité (sans nuire à la planète) ? »
A lire aussi sur terraeco.net :
Dossier : Le bio est-il réservé aux riches ?
Le bio en pleine montée de lait
Cinéma : le retour à la terre
Affichage : Voir tout | Réduire les discussions