« Il y a de fortes chances que les Européens consomment déjà de la viande issue d’animaux clonés sans le savoir. » C’est l’inquiétude de la députée européenne Corinne Lepage exprimée dans les colonnes du Huffington Post ce mardi. Car légiférer sur le clonage sera l’une des missions des prochains élus au scrutin européen de mai. Mais cette inquiétude est-elle légitime ?
De la viande ou du lait issus d’animaux clonés, peu de chance
En France, en poussant la porte d’un abattoir, aucune chance de se retrouver nez à nez avec une vache ou un mouton cloné. Si l’Union européenne interdit indirectement le clonage à des fins alimentaires en bannissant l’usage de techniques entraînant « des souffrances non nécessaires » (Voir encadré) (directive 98/58/EC, article 3), l’Hexagone réserve ses paillasses aux recherches scientifiques ou au clonage de chevaux de course.Mais ailleurs, les choses sont différentes. Aux Etats-Unis, au Canada, en Argentine, au Brésil et en Australie, des animaux sont bel et bien clonés pour alimenter des assiettes. Or, ces pays exportent vers l’Europe quelques animaux vivants. Très peu néanmoins : les importations de bêtes encore galopantes représentent moins de 0,01% du bétail européen, souligne les statistiques d’Eurostat reprises par un texte de travail de la Commission européenne. Peu de chance qu’il y ait des animaux clonés dans le tas : « Ils coûtent trop cher, on ne va pas les bouffer », souligne Corinne Lepage qui chiffre à 80 000 euros le prix d’un spécimen.
Et si, malgré tout ça, certaines de ces copies animales voulaient filer vers l’Europe, il y a peu de mouron à se faire : la mise sur le marché de nourriture (viande, lait…) issue d’animaux clonés doit théoriquement passer par les fourches caudines de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa). Or, jusqu’à présent : « Aucun opérateur commercial européen ou étranger n’a demandé une autorisation pour mettre sur le marché de la nourriture produite à partir de la technique du clonage », précise un communiqué de Bruxelles publié en décembre. Une information confirmée à nouveau cette semaine par un mail lapidaire du service de presse de l’Efsa.
De la viande ou du lait de descendants d’animaux clonés, c’est probable
Là, tout change. Car si les produits issus d’animaux clonés sont strictement encadrés et franchement peu rentables, ce n’est pas le cas de la nourriture produite sur le dos ou dans les pis de leur descendance. Une descendance rendue justement plus grasse ou meilleure productrice de lait grâce à un parent de choix. « Rien n’interdit les éleveurs de faire entrer en Europe des semences d’animaux clonés », souligne encore Corinne Lepage. D’ailleurs, la chose s’est déjà vue. En Grande-Bretagne, deux embryons prélevés dans l’utérus d’une vache américaine clonée avaient donné naissance à deux taureaux, dont l’un d’eux avait fini dans les assiettes de quelques Britanniques. L’affaire, révélée en 2010, avait fait grand bruit. Sans être illégale.A l’époque, un responsable de Bruxelles avait d’ailleurs précisé au quotidien britannique The Daily Telegraph que, puisqu’aucune restriction ne touchait l’importation de semences, des milliers de cochons et de vaches issus d’un parent cloné étaient probablement d’ores et déjà élevés en Europe. Impossible néanmoins d’avoir des chiffres : « Les Etats membres ne surveillent pas si les animaux importés ou le matériel reproducteur provient d’animaux clonés ; dans la plupart des cas, il est impossible de savoir s’il y a eu des importations d’animaux clonés ou de matériel reproducteur issus de clones », souligne le rapport du Parlement. Là encore, le texte relativise : le matériel reproductif importé ne représente en moyenne que 2,5% du stock européen, « mais peut monter à 20% dans certains Etats membres », souligne le texte sans préciser lesquels.
Rien n’interdit non plus l’importation directe de viande ou de lait issus des enfants de ces clones, nés à l’étranger. Or, dans la plupart des pays exportateurs vers l’Europe et qui pratiquent le clonage pour l’alimentation, les clones sont là encore peu ou pas répertoriés comme tel. « Les clones sont enregistrés par des compagnies privées aux Etats-Unis, au Canada et au Brésil. En Argentine et en Australie, ils ne le sont pas du tout », souligne le rapport du Parlement. Là encore, les chiffres sont assez faibles pour les bovins – les principaux animaux concernés par le clonage – avec 7,3 tonnes d’équivalent carcasse (tec) importés en 2013 depuis des pays tiers contre 378,8 depuis des pays européens. L’agneau en revanche est largement importé notamment depuis la Nouvelle-Zélande (164,4 tec en 2013) mais cet animal est encore peu cloné. Reste le cas du cheval, largement touché par la technique, et dont la viande est massivement importée en France depuis des pays tiers : Canada, Mexique, Argentine ou encore Uruguay. Y aurait-il parmi ceux dont on a prélevé la chair des descendants d’animaux clonés ? Impossible de le savoir tant la traçabilité fait défaut.
Et demain ?
« Je ne dis pas que la chose existe dans de grandes proportions mais ce sera peut-être le cas demain. Et que, si l’on veut stopper le clonage, c’est le moment d’agir », confie Peter Stevenson, conseiller stratégique de l’ONG britannique Compassion in World’s Farming (CIWF) et lobby auprès du Parlement de Bruxelles. Or pour le moment, la proposition de la Commission que devra examiner la prochaine législature ne couvre pas le nœud du problème : la nourriture issue de la descendance des clones. Même si les choses devaient rester en l’état, « au minimum, il faut une information du consommateur. Mais le souci, c’est que tout le monde sait que si c’est écrit sur l’étiquette, personne n’achètera le produit », souligne Corinne Lepage.—————
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