Le propos de Yann Aguila est partagé par l’auteur de ces lignes : il faut en effet assurer le caractère contraignant, effectif des normes de droit international, particulièrement en matière d’environnement, en faisant en sorte que les Etats ne soient plus les seuls acteurs et sujets du droit international. La portée d’une convention ou d’un accord international, tel que l’Accord de Paris, ne peut pas dépendre de la seule volonté des Etats ou de certaines organisations régionales d’en assurer le respect sur leurs territoires. D’ores et déjà, l’effectivité d’une norme dépend aussi de l’attention que lui prêteront les médias, les associations ou les citoyens, lesquels peuvent contribuer à la transparence et à la sincérité des engagements pris par les Etats ou les organisations internationales. C’est donc la question de la place de la « société civile », à la fois lors de l’élaboration de ces normes mais aussi lors de leur application, qui est posée.
Opinion publique ?
Mais cette question appelle deux autres questions préalables : qu’est-ce que la « société civile » ? Qui est en droit de parler en son nom ? L’expression « société civile » est très régulièrement employée, souvent dans le sens d’ « opinion publique », notamment par des responsables politiques qui, parfois, cherchent ainsi à donner une autorité à leurs analyses. En droit, cette expression n’a pourtant pas de définition stable, ce qui permet de lui donner des contenus divers. Le rapport de la commission environnement du Club des juristes intitulé « renforcer l’efficacité du droit international de l’environnement » démontre que cette définition est généralement réalisée en creux, souvent par opposition aux Etats et à leurs représentants. On parle alors des « parties prenantes » (stakeholders) ou des acteurs non étatiques ou infra-étatiques. Selon les classifications, tous les acteurs non étatiques ou certains d’entre eux seulement sont visés : citoyens, associations, entreprises, collectivités territoriales, peuples autochtones...
Toutefois, il n’est pas certain que chacun de ces acteurs puisse défendre un autre intérêt que le sien propre ou celui de ses adhérents. Par ailleurs, ces acteurs ne voudront pas nécessairement être classés dans la même catégorie que d’autres. Il n’est pas non plus certain que la réunion de tous ces acteurs puisse représenter la « société civile ». Enfin, il peut exister des conflits entre les acteurs élus ou désignés de la démocratie représentative et ceux d’une démocratie participative qui reste en formation.
De la représentativité
En droit français, la situation est tout aussi confuse. Le Grenelle de l’environnement organisé en 2007 a révélé la difficulté pour l’Etat de choisir les associations et ONG de défense de l’environnement habilitées à siéger à la table des négociations. Certaines organisations ont pu s’étonner d’être exclues alors que d’autres pouvaient s’étonner du nombre de sièges qui leur étaient réservés, notamment par comparaison. A l’inverse des syndicats de salariés, les associations de protection de l’environnement n’étaient pas « choisies » par l’Etat comme interlocuteurs sur la base de critères de représentativité voire de légitimité. Au demeurant, la question de la représentativité d’une association de protection de l’environnement, qui sont de formes et de cultures très variées, ne peut être pensée tout à faire de la même manière que pour des organisations professionnelles qui représentent des personnes et non seulement une cause. Le Grenelle a donc abouti à l’engagement suivant : « Définir les critères de la représentativité des acteurs environnementaux tels que la compétence, l’indépendance, la capacité de mobilisation (nombre d’adhérents, bonne gestion, transparence, absence de droit d’usage sur les intérêts défendus…), l’activité effective, l’expérience, le respect des valeurs républicaines, de la liberté d’association, le fonctionnement démocratique de l’association, la capacité à animer un débat environnemental et citoyen… ; déterminer droits, devoirs et moyens ».
Un chantier essentiel
En 2008, au lendemain du Grenelle de l’environnement, le comité opérationnel présidé par le député Bertrand Pancher a remis un rapport intitulé « Institutions et représentativité des acteurs » qui propose une classification des acteurs environnementaux ainsi que plusieurs critères et filtres de représentativité. Peu après, le Gouvernement a publié un décret n° 2011-832 du 12 juillet 2011 « relatif à la réforme de l’agrément au titre de la protection de l’environnement et à la désignation des associations agréées, organismes et fondations reconnues d’utilité publique au sein de certaines instances ». La portée de ce décret était limitée à certaines instances de consultation mais a suscité une controverse assez vive ainsi, qu’un recours, finalement rejeté par le Conseil d’Etat. Preuve à tout le moins que le débat reste ouvert.
Les questions de la définition de la société civile et des conditions de son expression restent donc un chantier essentiel pour l’avenir du droit de l’environnement. C’est une condition de la création d’un « dialogue environnemental » à l’échelle de l’Etat mais aussi du droit international qui dépasse le principe de participation du public.
A lire aussi l’interview de Yann Aguila
-
Terra eco
-
Terra eco
Affichage : Voir tout | Réduire les discussions