Monsieur le ministre,
A la veille de la journée mondiale des océans (le 8 juin, ndlr) et à l’aube de votre mandat, je m’adresse à vous pour vous témoigner mon inquiétude non seulement face à l’état de nos océans, mais également face à l’attitude de la France dans les négociations environnementales, et en particulier celles concernant la réforme de la Politique commune de la pêche.
Au lendemain de votre nomination, tous les journaux se faisaient l’écho des difficultés auxquelles sont confrontés les pêcheurs, soulignant que la flotte française a été divisée par deux en dix ans et que le déficit commercial de la filière a atteint 3,25 milliards d’euros en 2010. Quelle ironie qu’aucun de ces journaux n’ait eu l’honnêteté de donner ces autres chiffres : ils n’ont pas dit que 360 millions d’euros d’aides publiques ont été dépensés en 2009 pour ce secteur, que les ministres des 27 Etats membres ont une fois encore fixé les opportunités de pêche pour l’année 2012 bien au-dessus de ce que recommandaient les scientifiques et qu’à ce jour, 92% des stocks évalués sont surexploités en Méditerranée et 63% en Atlantique.
Spirale infernale
Avec ses 6 000 km de côtes et une zone économique exclusive de 11 millions de km2, la deuxième au monde après les Etats-Unis, la France doit se montrer pionnière et ambitieuse car elle a les moyens de faire la différence. Pourtant, si aujourd’hui elle se démarque dans les forums européens et internationaux, c’est par son refus systématique de soutenir des mesures qui mettraient fin à cette spirale infernale, et par son habileté à constituer des alliances politiques pour maintenir le statu quo. Ce même statu quo, qui est le principal responsable de la situation dans laquelle se trouve l’industrie de la pêche aujourd’hui : trop de bateaux ciblant des poissons qui se font rares, ont conduit à des entreprises de pêche peu ou pas rentables et qui dépendent de plus en plus d’aides publiques pour leur survie et pour pouvoir continuer à (sur)pêcher.Allons-nous exploiter les océans jusqu’à les vider complètement ? D’après certains scientifiques, peut-être. Ce qui est certain en revanche, c’est que la réforme actuellement débattue à Bruxelles offre la possibilité de l’éviter, en construisant une nouvelle politique qui place l’environnement en son centre, non pas parce nous pensons que les hommes ne sont pas importants, mais parce qu’il n’y a pas d’autres solutions.
Seuls des écosystèmes marins en bon état peuvent permettre de retrouver l’abondance d’autrefois
La future politique commune de la pêche doit garantir la reconstitution rapide de tous les stocks commercialement exploités au rendement maximum durable d’ici à 2015, et elle doit placer les politiques de conservation de la biodiversité au cœur des politiques d’exploitations des ressources car l’un et l’autre vont de pair. Seuls des écosystèmes marins en bon état peuvent permettre de retrouver l’abondance d’autrefois, et ainsi garantir la résilience des océans au changement climatique et aux impacts résultants des activités économiques. Finalement, sans poisson, pas de pêche, et sans écosystème en bonne santé, pas de poisson.A nouveau gouvernement, nouvelle politique, dit-on. Je veux surtout espérer que sous votre égide, la France cessera cette politique de l’autruche qui consiste à opposer l’environnement aux aspects économiques, en repoussant les décisions nécessaires à des temps économiques meilleurs. Si l’on tend à penser en temps de crise économique que l’environnement est un luxe, la réalité est que nous n’avons pas les moyens d’attendre.
Monsieur le ministre, vous prenez vos fonctions à un moment important pour les océans et le futur de la pêche en France et en Europe. Je ne doute pas que votre mandat sera difficile mais je souhaite que vous ayez la clairvoyance d’éviter les écueils d’une approche basée sur le court-terme, et le courage de relever le défi d’une pêche durable.
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