En plein débat sur les OGM lancé par l’étude de Gilles-Eric Séralini, et après les remous de l’affaire Médiator des laboratoires Servier, voilà que les représentants d’intérêts des entreprises d’agrochimie et des laboratoires pharmaceutiques deviennent persona non grata à l’Assemblée nationale.
C’est le site Acteurs publics qui a, le premier, révélé que le badge d’accréditation permanente allait être retiré aux lobbyistes de ces sociétés. Et leur nom, tout bonnement rayé de la liste des représentants des quelque 170 entreprises, fédérations professionnelles, associations, cabinets de lobbying et organismes divers bénéficiant d’un badge.
« Cinq ou sept » entreprises black-listées
Les entreprises qui n’auront plus le droit de considérer les couloirs de l’Assemblée comme le prolongement de leur bureau seraient au nombre de « cinq ou sept », explique Christophe Sirugue, député PS visiblement fâché avec les chiffres. Il est pourtant le nouveau président de la délégation chargée des représentants d’intérêt et des groupes d’étude à l’Assemblée. Réunie le 10 octobre dernier, c’est cette délégation composée de sept députés de tous bords qui a acté le retrait de ces laissez-passer.
Parmi les black-listés devraient entre autres figurer Bayer Crop Science, Syngenta, Monsanto, Du Pont de Nemours, qui produisent tous des semences OGM. Les laboratoires Servier ont déjà été évincés en septembre 2011, et d’après la liste publiée par l’Assemblée et actualisée en septembre 2012, aucun autre laboratoire pharmaceutique n’a de représentant d’intérêt au Parlement.
Une éviction qui tarde à entrer en vigueur
Ce lundi, aucune de ces entreprises ne se disait encore officiellement informée de son éviction, bien que Christophe Sirugue assure que « le courrier a été adressé à chacune d’entre elles dès le 10 octobre ». Le député veut faire le ménage le plus tôt possible.
Pourquoi ? « On ne cible pas ces entreprises parce qu’elles ont un mauvais comportement, on ne les met pas à l’index, précise-t-il d’emblée, pour arrondir les angles. Mais elles appartiennent à deux secteurs sensibles, sur lesquels les députés risquent d’être amenés à débattre prochainement. On souhaite donc prendre des précautions et leur dire qu’au lieu de défendre leurs intérêts particuliers, il faut qu’elles passent par leur branche professionnelle », explique le député.
Des secteurs qui s’estiment stigmatisés
Ce message a beaucoup de mal à passer auprès des entreprises et secteurs concernés. C’est le cas notamment chez Bayer Crop Science. Marie-Cécile Lebas, directrice des affaires publiques, assure n’avoir toujours pas reçu le courrier officiel de l’Assemblée. « C’est à se demander si cette décision a bien eu lieu ! », s’exclame-t-elle. Mais déjà, elles s’« étonne » car « aucun critère clair et objectif n’a été avancé pour évincer une activité par rapport à une autre ». « Une telle décision prise à la va-vite, sans aucun débat, ressemble à une stigmatisation. »
« C’est une mesure démago et politique, liée au Médiator et aux OGM », avance de son côté Pascal Favre, le lobbyiste pour la Fédération française des industries de santé, mais qui précise parler en son nom propre. « Dire que les entreprises ne peuvent pas pénétrer au sein de l’Assemblée nationale, cela peut se discuter, reconnaît-il toutefois. Mais pourquoi, alors, ne pas interdire toutes les entreprises, dans tous les secteurs ! Les entreprises de l’armement et du tabac (représentées à l’Assemblée, ndlr) ne font-elles pas elles aussi partie de secteurs sensibles ? »
Mais au final, qu’est-ce que ça va changer ?
Pour Jean-Charles Bocquet, président de l’Union des industries de la protection des plantes, qui représente au Parlement les intérêts des producteurs de pesticides, cette décision est « choquante à l’époque de la conférence environnementale, et à un moment où le débat citoyen se développe sur ces sujets ». Pour autant, les parties prenantes ne seront pas vraiment exclues du débat puisque, comme il le reconnaît lui-même, la mesure est surtout symbolique. « Il n’y aura pas vraiment de conséquence pratique sur la possibilité de faire valoir son point de vue dans les projets législatifs », explique-t-il.
Ce laissez-passer permet certes d’avoir un accès facilité à l’Assemblée, même sans rendez-vous avec un député. En croisant les représentants du peuple et leurs collaborateurs dans les couloirs ou en allant toquer à leur porte pour une discussion informelle, les lobbyistes font valoir leurs intérêts. « Ça donne à tout le monde un sentiment de connivence, du genre “je suis chez moi” », explique Pascal Favre.
Mais le retrait du badge n’empêchera en rien les lobbyistes de prendre rendez-vous avec un député. Ou l’inverse. « Si un collègue qui travaille sur un sujet a envie d’inviter telle ou telle entreprise à venir s’exprimer à l’Assemblée, aucun souci ! Mais dans la mesure où cela se fait de manière transparente, à l’occasion d’auditions publiques », précise Christophe Sirugue.
Le député maire de Chalon-sur-Saône doit rendre un rapport à Claude Bartolone en fin d’année au sujet de l’organisation de la représentation des intérêts au sein de l’Assemblée. Il annonce déjà qu’il va « demander que l’accréditation permanente ne soit plus attribuée une fois par législature (soit une fois tous les cinq ans, etc.) mais renouvelée chaque année ». Et préconisera que l’éviction des entreprises « sensibles » soit actée dans le marbre.
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