En regardant la télé ou en écoutant la radio ces derniers jours, on peut se croire revenus 30 ans en arrière. Revenus à une époque où la science était moins avancée et où il était encore logique de donner la parole à ceux qui contestent le fait que nous faisons face à un changement climatique dû aux activités humaines. Cette époque aurait dû prendre fin en 2009. Avant et pendant la conférence de Copenhague, les climatosceptiques ont eu une place énorme dans le débat public, y compris sur Rue89. Après coup, on a compris que cette présence médiatique démesurée par rapport au faible débat scientifique sur le sujet (voir encadré) était en partie le fruit d’une campagne de communication mensongère. Et qu’en invitant ces sceptiques, les médias ont contribué à créer le doute dans l’opinion publique.
Les climato-sceptiques ont-ils gagné ? par asi
Notre idée n’est pas ici de faire s’affronter, argument contre argument, les thèses adverses. Tant de nos confrères, d’ONG et de climatologues ont déjà fait ce travail. Rappelons en revanche que les climatosceptiques, déjà ultraminoritaires, sont de moins en moins nombreux dans la communauté scientifique et que ceux qui le restent sont :
des scientifiques qui ne sont pas spécialistes du climat ;
rémunérés par les industriels et lobbies rétrogrades ;
porteurs d’arguments dont l’invalidité a été démontrée de nombreuses fois ;
voire les trois à la fois.
Pour éviter de reproduire, avant la COP21 de Paris, les erreurs de 2009, faut-il encore donner la parole aux climatosceptiques, sous prétexte de respecter la pluralité des opinions ?
Répondre « oui » à cette question permet de confronter ces thèses farfelues à des vérités scientifiques, mais contribue à donner l’illusion du doute, ce qui est exactement la stratégie des lobbies sceptiques.
Répondre « non » évite ce biais mais conforte les climatosceptiques dans leur discours de victimisation.
Monsieur météo, un peu partout
Parmi nos confrères, il y a d’abord ceux qui laissent s’exprimer… des gens qui racontent n’importe quoi. La palme revient à Marianne, au Figaro et à Valeurs actuelles, qui ont ces derniers jours donné la parole au « monsieur météo » de France Télévisions, Philippe Verdier, sans rappeler que climat et météo n’ont rien à voir et sans confronter son point de vue avec celui de gens qui travaillent sur le climat. Et pourtant, Philippe Verdier avance des arguments d’une nullité évidente, du type « quand les températures sont plus confortables, nos modes de vie s’adoucissent ». Or, le changement climatique en cours ne donne et ne donnera pas une météo plus douce. On parle bien d’extrêmes climatiques et de catastrophes naturelles plus fréquentes et moins prévisibles qui vont faire que l’ensemble des plantes et animaux seront contraints de s’adapter et de se déplacer dans un monde où les barrières construites par l’homme sont de plus en plus nombreuses.
Nous ne nous attarderons pas à nous indigner de voir Philippe Verdier « se prévaloir de son titre de chef du service météo pour vendre ses élucubrations ». Télérama et Arrêt sur images l’ont très bien fait, dans trois articles, sur cet étrange complotiste, amateur de double discours et auteur d’un livre publié par une maison d’édition qualifiée de « proche de l’extrême droite », par Arrêt sur images.
Sur i-Télé : « Comment osez-vous ? »
La plupart de nos confrères essayent plutôt de confronter les points de vue. Premier exemple le 10 septembre dernier, sur le plateau d’Olivier Galzi. On trouve l’élu écologiste Yannick Jadot, le chercheur en sciences politiques François Gemenne et le sociophysicien Serge Galam.
Pendant plusieurs minutes, on voit François Gemenne de plus en plus livide face aux arguments climatosceptiques de Serge Galam. Il pète un câble puis hurle : « C’est quand même incroyable, en 2015, de sortir encore des propos comme ça ! Comment osez-vous ? » Au téléphone, Gemenne nous a expliqué quelques jours plus tard ce qui l’a gêné dans la préparation de l’émission : « J’ai l’impression que le seul argument pour inviter ces gens-là, c’est un goût pour la polémique. On nous a invités, Yannick Jadot et moi, pour discuter des politiques climatiques. En face, on a mis un scientifique pas du tout spécialiste du climat qui est climatosceptique. Dès le début de l’émission, le débat a porté sur la réalité du changement climatique et non pas sur les actions à adopter. L’effet pour les gens, c’est : le scientifique qui est sur le plateau a dit “on n’est pas sûr”. Pour moi, c’est criminel puisque c’est principalement ce doute qui nous empêche d’agir, le fait que Galzi ne voie pas ça est préoccupant. »
Sinon, il y en a pour qui la Terre est plate…
Olivier Galzi estime lui que Gemenne aurait pu et dû débattre et que son énervement l’a desservi : « Je ne m’attendais pas à ça. Je ne connaissais pas Serge Galam mais il est tout à fait légitime, il est directeur de recherche au CNRS et physicien. Il est certes ultraminoritaire mais il faut donner la parole à tout le monde. Les Verts font 2% aux élections mais ce n’est pas une raison pour ne plus leur donner la parole. Il dit que le raisonnement scientifique a des règles et qu’il a l’impression qu’elles ne sont pas toutes respectées dans le débat sur ce qu’il appelle le thermostat de la planète. Ça s’écoute. Le débat aurait pu être constructif. Malheureusement, ça n’a pas été le cas, parce que monsieur Gemenne a pété un plomb, c’est le terme. »
Gemenne assure lui qu’il ne se rendra probablement plus sur un plateau si un climatosceptique est invité : « On n’imagine pas un journaliste inviter sur un plateau un scientifique comme Hubert Reeves en face de quelqu’un qui estime que la Terre est plate, en estimant que de toute façon si Reeves a raison, il sera plus convaincant ! Et pourtant, il y a bien des sociétés scientifiques qui pensent sincèrement que la Terre est plate, vous pouvez jeter un œil à leur site. Que se passerait-il si on invitait un scientifique qui martèlerait que tous les rapports sexuels non protégés avec un malade du sida ne sont pas dangereux ? Je suis sûr que le CSA ferait quelque chose, je ne comprends pas pourquoi on ne peut pas faire pareil sur le climat. »
Sur France Culture : la phrase qui tue
Deuxième exemple dans l’émission « Les Nouveaux Chemins de la connaissance » sur France Culture, qui a organisé le 17 septembre un débat entre l’ingénieur et philosophe Jean-Pierre Dupuy et le mathématicien climatosceptique Benoît Rittaud.
La philosophe Adèle Van Reeth, qui a animé cette émission, nous explique sa démarche par téléphone puis par écrit : « Sur le plan scientifique, je ne comprends pas pourquoi les opposants aux climatosceptiques n’arrivent pas à démontrer que leurs adversaires ont tort. Le climat n’est pas une science dure, et je n’arrive pas à comprendre sur quel point précis porte l’accusation faite aux climatosceptiques. Bien sûr, je ne suis pas scientifique, mais je n’arrive pas à trouver un raisonnement plus convaincant qu’un autre, et je me méfie beaucoup de l’accusation de “trafiquer la science”. C’est pour ça que je voulais entendre deux points de vue différents sur le sujet, pour qu’il puisse y avoir un débat, il n’était pas question qu’on évoque le cas des climatosceptiques sans leur donner directement la parole. »
Le débat n’a malheureusement pas lieu : le ton monte très vite entre les deux hommes. Et puis Benoît Rittaud lâche la phrase qui tue : « La température de la planète est stable depuis quinze à vingt ans. » Cela a longtemps été le principal argument des climatosceptiques. Jusqu’à ce qu’il soit démontré à plusieurs reprises que ce prétendu ralentissement n’est que le fruit d’un artefact, un biais d’observation qui disparaît quand on utilise la bonne méthode de mesure [PDF]. Jean-Pierre Dupuy fait donc remarquer à Rittaud que ses arguments ont tous été démontés maintes fois par le passé. Puis le philosophe adopte une stratégie étonnante, et dit tenter de dévier le débat sur « la nature philosophique de l’incertitude de la science climatique » et « un travail philosophique sérieux sur l’épistémologie des modèles mathématiques du climat ». Benoît Rittaud esquive : « Vous parlez de tyrannosaures, c’est bien, mais moi je parle de climat. »
Le sujet le plus important du monde
J’ai demandé à Adèle Van Reeth ce qu’elle a retenu du débat. « Je ne comprends pas pourquoi les climatosceptiques font l’objet d’une telle haine. Je me demande vraiment ce qu’il se passe, j’ai l’impression que ça dépasse le débat scientifique, que sur ce sujet on a besoin de désigner des boucs émissaires. Tout se passe comme si l’imminence de la catastrophe était telle que le simple fait d’en douter était jugé criminel. Pourquoi ne pourrait-on pas débattre sereinement, dire qu’il y a un problème et que l’on a du mal à identifier la place exacte de la responsabilité de l’homme ? »
Gemenne est passé pour un énervé, il a été moqué par « Le Petit Journal ». Dupuy semble fuir le débat et se perd dans des réflexions complexes. Ces exemples confirment que ceux qui se contentent de répéter « on n’est pas sûr » sont toujours plus convaincants dans ces petits matches médiatiques où l’utilisation d’informations erronées est autorisée. Pendant ce temps-là, des milliers de scientifiques travaillent et s’affrontent dans les règles de l’art pour aboutir à un consensus sur ce qui est le sujet le plus important du monde. A Rue89, nous avons décidé de ne pas contribuer à cette drôle de représentation (idem à Terra eco, ndlr).
97% DES ÉTUDES…
Rappelons que le Giec, accusé d’être un lobby, est en fait un rassemblement de milliers de chercheurs destiné à faire la synthèse des connaissances actuelles. Leurs rapports, longuement débattus et soumis au vote de l’ensemble des pays de la planète, s’appuient sur une revue complète des travaux scientifiques publiés sur le sujet. Or, 97% des études scientifiques confirment que le changement climatique est dû à l’homme. Les 3% restants étant le fruit de mauvais plagiaires qui écartent les travaux qui ne vont pas dans leur sens.
Cet article a initialement été publié sur Rue89 le 6 octobre 2015
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