Les actions de communication entreprises par le gouvernement ne changent pas la donne du problème et donnent une impression de confusion, parfois inquiétante lorsqu’on ferme les plages qui ne sont pas nettoyées, parfois anormalement rassurante lorsque le président de la République fustige, quelques jours avant la mort des premiers marcassins, le comportement des lanceurs d’alertes qui ont identifié l’ampleur du problème et la nécessité d’y remédier sans délai, via une transformation majeure de l’économie du territoire nord-breton.
Un mal profond qui nécessite de changer de projet de territoire
Pourtant, la manière dont nous gérons collectivement, ou non, la question des algues vertes, est révélatrice des défis qui nous attendent pour lancer rapidement la transition vers une économie plus durable, concrètement, sur les territoires.Les enjeux immédiats de la prolifération des algues vertes sont nombreux : la vie courante est fortement perturbée par ce phénomène. C’est tout un département fortement tourné vers la mer qui doit affronter les effets de la crise : impact sur le tourisme et sur l’image de la Bretagne Nord, difficultés pour la pêche et la valorisation des produits de la mer, et remise en question de la confiance portée par les citoyens à leur modèle sanitaire, agricole et économique.
Découvrons-nous le problème ? Techniquement, non. Les lanceurs d’alertent le soulignent depuis plus de 20 ans, l’Europe alerte régulièrement et condamne la France sur la teneur excessive en nitrate des eaux, en Bretagne notamment. Tout ceci a été consolidé dans le Plan de Lutte contre les algues vertes présenté par le gouvernement en février 2010.
Mais, au-delà des mesures techniques, c’est d’un véritable projet de territoire autour d’une reconversion du modèle agricole, économique et touristique dont la Bretagne Nord a besoin, et qui nécessite mobilisation, moyens et consensus.
Le modèle « traditionnel » a fait long feu
Ce projet suppose une transition importante du modèle de développement actuel, à bout de souffle, vers un modèle raisonnable, économiquement viable pour chacun des acteurs, écologiquement et socialement acceptable. Et ceci est inéluctable.
Parmi les urgences, celle de rénover le modèle agricole et notamment la production porcine est criante. Désormais, les exploitants sont confrontés à un triple défi économique :
- Les porcs sont vendus sur un marché international « industriel » où le prix est déterminant, sans critère de qualité discriminant. Ce qui les rend aujourd’hui exposés à une concurrence féroce, aujourd’hui de l’Allemagne, demain du Brésil ou de la Chine.
- L’aliment, le plus souvent acheté, est soumis à de fortes variations de cours et ne fait que s’enchérir,
- alors que les exploitants étrangers tirent une partie substantielle de leurs revenus de la valorisation des coproduits, notamment en étant producteurs d’énergies renouvelables, les producteurs français n’ont qu’un accès restreint à cette source de revenus.
Ce triple défi a lancé la filière dans une course en avant effrénée, pour laquelle la seule variable d’ajustement consiste à augmenter la pression sur l’environnement et le besoin de subventions tout en demandant des dérogations sociales. Le gouvernement a appuyé cette course en avant, en autorisant coup sur coup l’augmentation de taille des exploitations, l’augmentation des surfaces d’épandage et une charge à l’essieu accrue.
Les agriculteurs n’ont pas souhaité ce modèle. Ils ont appliqués une politique centralisée donnant un rôle productif exacerbé à la Bretagne pour « nourrir la France » et suivi les orientations ministérielles, les syndicats professionnels et les organismes de développement de la filière pour mettre en place une politique qui s’avère actuellement fondamentalement inadaptée, incapable de leur garantir un revenu stable et à la hauteur de leur travail et générant une pression environnementale qui affaiblit durablement les écosystèmes. Et pourtant, aujourd’hui encore, ceux qui font le pari d’une production plus durable et raisonnée restent comparativement bien moins aidé que leurs collègues, et de plus doivent se passer de nombreuses facilités techniques et réseaux réservés de fait aux agriculteurs ayant fait le choix de la production industrielle.
Comment changer, ici et maintenant ?
Pourtant, un autre projet de territoire existe, et il porte à la fois un mieux-être économique, écologique et social. En infléchissant la production porcine pour une production plus focalisée sur la qualité que sur la quantité, il est possible d’améliorer à la fois le revenu des agriculteurs, la qualité sanitaire des produits et la préservation de l’environnement. Cela génèrera également plus de production d’aliments à proximité des exploitations.
Une polyculture de proximité, associée à de petites installations porcines, que ce soit en élevage bio ou de manière élargie par un approvisionnement en aliment local et des exploitations extensives, diminuera fortement la pression sur les sols. L’agriculteur, qui vendra mieux une production de qualité, pourra également diversifier ses revenus par la production d’énergie à partir de la biomasse et les coproduits issus du traitement des lisiers sur des jardins filtrants. Dans une logique de coopération et de partenariat, il intégrera d’autant plus facilement la production à proximité des produits transformés, charcuterie notamment, qu’il est en mesure d’assurer la traçabilité et la qualité de la matière première. Ce qui permettra alors à la filière alimentaire une transformation douce et sereine, qui compensera par une qualité et une valorisation individuelle accrue la perte des volumes de consommation de viande actuellement constatée.
En parallèle, les agences de l’eau, plutôt que de subir des coûts de traitement sans cesse croissants et de laisser dériver la qualité de l’eau au-delà des limites tolérées européennes, pourront plus facilement « sanctuariser » les points de captage en établissant des contrats de performance cofinançant la transition vers une agriculture biologique des agriculteurs à proximité des captages, et génèreront par ces investissements une réduction des émissions à la source rendant moins coûteux le traitement, pour une meilleure qualité. Et ce, en permettant via des sols organiques régénérés de limiter les proliférations d’algues vertes en cas d’intempérie, par réduction de la criticité du ruissèlement.
Que manque-t-il pour mettre en place cette transition ? L’effort financier global pour permettre le changement de modèle n’est pas discriminant, la somme des subsides nécessaires pour dépolluer les eaux, traiter les effluents, nettoyer les plages et subventionner des produits agricoles vendus à prix cassés suffirait largement, si elle était investie sur trois ans au lieu d’être dispersée de manière curative, à financer cette transition. Et ce, en créant de l’emploi et un projet de territoire.
Alors, on continue à se pencher la tête dans le sable, avec les mesures curatives condamnées à terme ? Qu’il s’agisse d’une usine de méthanisation plus dimensionnée pour exister que pour être efficace dans son fonctionnement où d’un ramassage insuffisant et principalement à la charge des collectivités locales ? Ou bien on prend au sérieux le signal que nous envoient les algues vertes et la crise réunies en cette fin d’été pour lancer dès maintenant la transition écologique de l’économie ?
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