A la fin de l’année, l’Europe va devoir se prononcer sur l’autorisation du glyphosate, le principe actif du Roundup, qui vient d’être classé « cancérogène probable » par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ). Souhaitez-vous que cette autorisation soit renouvelée ?
Il existe un groupe de travail au niveau européen, une task force réunissant les experts de l’industrie qui travaillent spécialement sur la défense de cette molécule. Nous, à l’UIPP, nous agissons au niveau français, nous ne sommes pas habilités à apporter des éléments à ce débat. Concernant le classement du Circ, notre position, c’est de rappeler que nous sommes dans un contexte européen et qu’il peut y avoir une confrontation entre l’évaluation d’une substance au niveau international – telle que celle faite par le Circ – et les résultats de l’expertise européenne. Au final, si une autorisation de mise sur le marché est délivrée, cela signifie que l’on a pu démontrer que, quand bien même la substance est classée, son utilisation ne présente pas de danger.
En clair, vous considérez qu’une même molécule peut-être dangereuse dans l’absolu, reconnue comme telle au niveau international, mais qu’elle ne l’est plus en pratique au niveau européen ?
On ne conteste pas le fait que le glyphosate soit classé dangereux. Mais ce n’est pas parce qu’une substance active présente un danger intrinsèque qu’on ne peut pas en maîtriser le risque. Prenez l’électricité, c’est dangereux : si vous touchez un câble dénudé, vous risquez d’y passer. Pour autant, l’homme n’a pas décidé de s’en priver, il a réussi à en maitriser les risques. Le raisonnement doit être le même avec les produits phytosanitaires. Lorsqu’on évalue leur dangerosité, il ne faut pas ignorer le contexte : la formulation des produits, leurs conditions d’emplois… En Europe, les gens sont formés, savent lire les étiquettes, les salariés, même saisonniers, sont encadrés, portent des équipement de protection. Quand les pratiques sont règlementées, que 80% du matériel est réglé, cela doit être pris en compte au moment de l’évaluation.
Il y a la réglementation et la pratique. Travailler en combinaison de protection par 30°C, pour beaucoup d’agriculteurs, cela tient du supplice ou de la fiction. Les équipements individuels ne donnent-ils pas bonne conscience à peu de frais ?
Sans langue de bois, des questions sont posées. Certaines études de terrain montrent des difficultés. ll faut se soucier de l’adaptabilité des consignes et de leur application concrète. C’est de la responsabilité de l’industriel une fois que son produit est sur le marché. En même temps, on doit avoir en tête que tous les produits phytosanitaires n’exigent pas le port systématique de l’ensemble des équipements. Il faudrait peut-être mettre l’accent sur les différents types de protections, en fonction des produits, pour gagner en lisibilité. Nous partageons complètement les exigences des pouvoirs publics en matière de protection des salariés, mais on se demande si la France n’est pas en train d’alourdir les procédés.
Difficile de les alléger quand l’association Phyto-victimes a vu son nombre d’adhérents quadrupler et traite des dizaines de nouveaux dossiers d’agriculteurs malades chaque année. Peut-on les ignorer ?
Il est tout à fait légitime que des agriculteurs cherchent à comprendre l’origine de leurs problèmes de santé. Nous sommes d’accord avec l’association Phyto-victimes sur plusieurs points. Cependant, il ne faut pas confondre convictions personnelles, sentiment d’injustice et dossiers circonstanciés qui, à la fin d’un parcours professionnel, permettent de faire le lien entre une pathologie et une exposition aux produits. Encore une fois, nous comprenons les interrogations, mais on doit être capable, de manière dépassionnée, de réintroduire de la science dans tout ça. Avant d’incriminer un produit, il ne faut pas oublier d’apporter des preuves.
Ces preuves existent. Une expertise collective de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), publiée en 2013, passe en revue trente ans de littérature scientifique et confirme les craintes quant à la dangerosité des pesticides.
Cette étude est en effet très robuste. Et, bien sûr, c’est important qu’il y ait des études. Mais on ne peut pas faire le lien entre celles-ci et des cas particuliers. L’Inserm arrive à certaines conclusions, mais ses travaux portent sur une échelle de temps donné. Hormis sept produits, la plupart de ceux qui ont été examinés ne sont plus sur le marché aujourd’hui. Cela montre que la procédure de réévaluation européenne fonctionne.
Il a fallu plus de quinze ans entre les premiers soupçons autour de la dangerosité de l’herbicide Lasso et son interdiction. Le décalage est semblable pour l’arsénite de sodium. Qu’est ce qui nous assure que les produits mis sur le marché aujourd’hui ne sont pas des bombes à retardement ?
Les procédures d’évaluation européennes sont parmi les plus draconiennes au monde. Ces dernières décennies, les études nécessaires à l’homologation d’un produit ont été multipliées par sept, voire par dix. Pour les industriels, 90% des dépenses précédant la sortie d’un produit sont consacrées à l’évaluation de la dangerosité et aux études sur la santé. Au stade actuel de la science et pour ce qui est des produits phytosanitaires, une molécule sur 140 000 arrive sur la marché. Cela montre que le processus d’évaluation est robuste.
Mais la dangerosité n’est pas le seul critère pris en compte…
Oui. Il y a des spécificités pour les produits qui présentent des dangers, mais pour lesquels il n’y a pas d’alternative. Pour telle ou telle maladie des cultures, des autorités compétentes décident qu’il est tout de même judicieux d’utiliser ces produits en fixant des conditions strictes de protection des utilisateurs.
La maladie de Parkinson, puis récemment certains lymphomes, dont le lien a été établi avec l’exposition chronique aux pesticides, ont été inscrit au tableau des maladies professionnelles de la mutuelle sociale agricole. Ne craignez-vous pas que ce tableau s’allonge ?
Je n’ai pas de visibilité par rapport à ça.
On reproche aux procédures d’évaluation de tester les substances séparément. Or, une nouvelle étude publié dans la revue Nature Communication met en lumière cette lacune en confirmant l’effet cocktail des produits chimiques…
Le risque zéro n’existe pas. Il y a toujours une part d’incertitude dans l’innovation, il faut l’accepter. Mais nous sommes de plus en plus performants dans la maîtrise du risque. Ce n’est pas propre à notre secteur, cela s’inscrit dans le cours de l’histoire. Il y a quarante ans, on conduisait sans ceinture de sécurité ; aujourd’hui, c’est impensable. Concernant les produits de protection des plantes, ce que nous disons, c’est qu’au regard de la science les conditions d’utilisation sont extrêmement satisfaisantes et encadrées. Lorsqu’une autorisation est accordée, ce que disent les experts – et ce ne sont pas les experts des entreprises –, c’est que le risque est maîtrisé.
Ce ne sont pas les experts des entreprises ? Dans le cas du glyphosate, un quart des membres du bureau de l’organisme rapporteur sont directement employés par des industriels.
Ce n’est quand même pas un milieu étanche. Les instances d’évaluation donnent la possibilité aux entreprises d’apporter des éléments. C’est tout à fait fondé : dans ce domaine, toute la recherche est privée. Or, on a besoin de l’éclairage des chercheurs. Tout cela se passe dans le respect de la légalité. Il existe des systèmes de déclarations. Quand un porteur d’intérêts participe aux discussions, il le fait avec cette casquette, rien n’est caché et ces procédures sont parfaitement encadrées. On ne peut pas, à partir de quelques cas particuliers pour lesquels il y aurait eu des soucis, estimer que le système dysfonctionne. D’autant qu’en Europe les procédures sont bien plus rigoureuses qu’ailleurs.
Le plan Ecophyto, adopté en 2008, prévoit de diviser par deux l’usage des pesticides à l’horizon 2025. Partagez-vous cet objectif ?
La vraie question n’est pas celle des quantités, mais celle de l’utilité. Chaque produit a une dose homologuée à laquelle il est efficace. Il n’y a pas de lien entre les volumes et l’impact sanitaire, tout dépend des usages. Par exemple, si l’on traite avant une averse, des quantités très importantes se retrouveront dans l’eau, quel que soit le volume de départ. Raisonner sur les quantités, c’est une décision politique. Dans les faits, la réduction des volumes ne se décrète pas. Ce qui est important, c’est la maîtrise du risque. La France est un des rares pays à avoir généralisé les cabines de protection sur les tracteurs, les pulvérisateur réglés de manière sécurisée et j’en passe. Nous pensons que ces objectifs sont plus pertinents que de simples réductions de volumes. Pour autant, nous continuerons à participer aux discussions.
Les ventes en bio augmentent chaque année. N’est-ce pas le signe d’une défiance vis-à-vis de vos produits, le signe que le consommateur attend autre chose que ce vous lui proposez ?
L’agriculture bio utilise aussi des produits phytosanitaire et leur part est en constante augmentation. La moitié des tonnages de produits naturels utilisés en bio proviennent des adhérents de l’UIPP, de même pour la moitié des produits de biocontrôle. Même dans une agriculture dite « naturelle », on ne peut pas se passer de protection des plantes. Et les agriculteurs bios ont eux aussi besoin d’innovation. Heureusement pour eux qu’il y a des industriels pour mener ces recherches.
L’UIPP communique beaucoup sur le fait que sans protection de plantes, 30% à 40% des récoltes mondiales seraient perdues…
Oui. Interdire certains produits sans solutions alternatives revient à mettre en péril des cultures. L’agriculture française est très diversifiée, on doit s’en féliciter. Si on supprimait purement et simplement certaines produits de protection, cette diversité serait menacée. Les cultures les plus vulnérables, comme celle de printemps, pourrait être abandonnées.
C’est partir du principe qu’on arrête les pesticides sans rien changer à nos productions. Or, un rapport d’un organisme porté par l’ONU et la Banque mondiale, l’Evaluation internationale des connaissances agricoles, de la science et de la technologie pour le développement indique qu’on pourrait « grâce à l’agroécologie et la protection intégrée atteindre voire dépasser les rendements produits par les méthodes traditionnelles ». Ne faut-il pas raisonner avec un nouveau logiciel ?
Avec un modèle différent, on pourrait peut-être réduire les usages de produits phytosanitaires en limitant ces pertes. Mais quand on parle de changer de modèle agricole, il faut parler de la viabilité économique de ces modèles, donc réfléchir en termes de taille critique. Changer de modèle, cela signifie revoir les filières de production, d’approvisionnement, de distribution. Cela veut dire remettre en question nos paysages. C’est un débat intéressant, mais il dépasse un peu ce qui nous intéresse ici.
Pas tant que ça. Que pensez-vous justement des modèles agricoles qui nécessitent moins d’intrants, mais plus de main-d’œuvre ? Quel regard portez-vous, par exemple, sur la permaculture ?
Il faut que ce soit des typologies d’exploitations qui répondent à un marché, et qui permettent aux agriculteurs de gagner leur vie. S’il y a une demande de marché diversité, si quelques-unes parviennent à gagner leur vie avec des méthodes axées autour de ces problématiques éthiques, et que celles-ci répondent à une attente, pourquoi pas ? Mais il ne faut pas croire que, du côté des consommateurs, toute la demande converge dans ce sens.
A grande échelle, il ne faut rien changer aux pratiques actuelles ?
Il faut certainement aller plus loin dans la protection des agriculteurs et dans la recherche sur les produits de biocontrôle et de protection naturelle. Mais ces solutions doivent être compatibles avec les ambitions agricoles du pays et le contexte français : des exploitations de taille modeste.
Pour vous, les exploitations françaises sont modestes et notre agriculture est diversifiée ?
Au regard de ce que l’on voit ailleurs dans le monde, c’est certain.
A vous entendre, qu’il s’agisse des procédures d’évaluation, de protection, de la taille et de la diversité des exploitations, l’Europe et la France ne prêtent pas le flanc à la critique puisque la situation est pire ailleurs. N’y a-t-il pas dans votre discours une forme de relativisme ?
Non. Mais que gagne-t-on a toujours voir le côté négatif des choses et à ne jamais regarder ce qui va ? Si vous ne pointez à un enfant que ce qu’il fait de mal, il risque de ne pas vraiment aller de l’avant. Mon propos ce n’est pas de dire : « tout va bien, fermons le débat ». Mon objectif est de passer le point de vue de l’industrie que je représente, un secteur attentif à ces sujets de société, mais qui essaie de porter sur eux un regard positif.
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