Le portfolio est signé Cédric Faimali du collectif Argos
Maria Isabel, 27 ans, est une pallaquera. Tous les jours, griffe à la main, elle gratte les scories de la mine d’or pour en récupérer les meilleurs morceaux, tandis que son conjoint travaille au fond des galeries. Comme beaucoup de serranos, les habitants de la Cordillère des Andes au Pérou, elle ne pouvait subsister avec les ressources de sa ferme. « J’ai abandonné ma terre pour venir ici, où je gagne assez pour manger et je mets même de l’argent de côté. Nous avons un fils de 3 ans et j’aimerais qu’il fasse les études que je n’ai pas eu la chance de mener. »
A Cuatro Horas, petite ville perdue au cœur du désert, à 2 000 mètres d’altitude, leur condition est celle de tout un peuple. Les 2 500 habitants sont d’anciens citadins, jadis noyés dans la masse paupérisée qui s’agglutinait dans les quartiers populaires aux portes de Lima. Ou des paysans, propriétaires d’une parcelle offrant à peine de quoi vivre. Ou encore des migrants, venus tenter leur chance dans les mines illégales d’Amazonie ou des Andes et finalement perdus dans la promiscuité et la violence des villes.
« Cuatro Horas est un laboratoire social que scrutent les 250 000 personnes qui vivent ainsi au Pérou. Au début, il n’y avait rien. Puis c’est devenu un pôle de développement, où les mineurs gagnent en moyenne 400 euros par mois et où leurs familles ont accès à l’électricité, à l’eau et à l’éducation grâce à l’argent de la mine, sans qu’on y trouve la prostitution ou l’alcoolisme présents dans les autres villes minières du Pérou, raconte celle qui l’a vu naître en 1997, Olinda Orozco, membre de l’ONG Red Social. Aujourd’hui, c’est un exemple qui démontre qu’il est possible d’obtenir de l’or éthique. »
Car après le coton et le café, le commerce équitable tente de convertir l’or. Patrick Schein affine la production de Cuatro Horas en France pour qu’elle puisse « titrer » 24 carats, une qualité exigée par la joaillerie. Le crédo, qu’il défend au sein de l’Association pour une mine responsable (ARM, Alliance for Responsible Mining) : redonner à la mine un rôle social que les promesses de développement incluses dans les grands contrats miniers semblent avoir oublié. Pour cela, le négociant a fourni l’assistance technique et financière pour bâtir la raffinerie de Cuatro Horas, qui produit 350 kg d’or par an. « Au mercure, nous avons substitué un traitement au cyanure fonctionnant en circuit fermé, ce qui a considérablement réduit l’impact environnemental de la mine. » Il y a bien eu des craintes – autour de la solidité des bassins de décantation où la boue rejetée doit être stockée pour être décontaminée –, mais elles ont été évacuées car il ne pleut jamais abondamment dans la région. Les organismes de labellisation ont donc fini par se ranger à cette technique, convaincus que cette solution permettrait aussi de résoudre de nombreux conflits entre agriculteurs et mineurs. C’est ainsi qu’un label « Fairtrade and fairmined » (« Commerce équitable et mine équitable ») basé sur les standards de l’ARM apparaîtra à la fin de l’année – d’abord en Angleterre – avec la certification de la Fairtrade Labelling Organization, à l’origine du label Max Havelaar. Le surcoût versé par les acheteurs servira à des réinvestissements communautaires dans la mine, le social ou l’agriculture.
En aval, l’or est acheté par des artisans joailliers, soucieux de promouvoir une transparence synonyme de « pureté ». Le Français Erwan Le Louer est l’un d’eux. Au sein de son entreprise, Jewellery Ethically Mined, il utilise l’or tracé de Patrick Schein pour réaliser des bijoux à « l’appellation d’origine contrôlée ». Sa filière séparée est basée à Saint-Dié-des-Vosges. Une incongruité de plus alors que la fabrication des bijoux a plutôt tendance à se délocaliser. Et le succès est au rendez-vous. Le joaillier propose déjà sa collection dans les boutiques chics de Paris – Colette, Le Bon Marché, Franck et fils. Souvent en rupture de stock, il prévoit de l’agrandir. —
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