« La crise fait réfléchir les citoyens. L’équité entre de plus en plus dans l’esprit des gens, mais cela n’empêche pas les tensions sur le pouvoir d’achat », analyse Julie Stoll, coordinatrice de la Plateforme française pour le commerce équitable (PFCE). Cela pourrait s’appeler le paradoxe du commerce équitable : les causes de la crise économique, financière et même alimentaire attisent les consciences, mais le porte-monnaie dit non. La courbe de croissance des ventes équitables s’est en effet sérieusement ramollie en 2010.
Selon l’association Max Havelaar, dont le logo orne la majeure partie des produits équitables vendus en France, la croissance a chuté de 8 points en un an seulement, passant de 13 à 5%. Plus préoccupant encore, l’étude annuelle conduite par l’institut Infoscan Census IRI, qui comptabilise l’ensemble des ventes passées en caisse de 5 700 hyper et supermarchés, constate une baisse nette de 2,4% sur les produits équitables de grande consommation (café, thé, chocolat… hors textiles et fruits frais) en 2010. La croissance était de 8% en 2009. Max Havelaar enfonce le clou, notant une baisse de 9,2% des ventes en grande distribution en 2010, rééquilibrée par la croissance surprise des ventes dites hors domicile (distributeurs, restaurants…). La plupart des marques sont touchées, à l’exception des marques de distributeurs qui progressent de 4,6%. Ces produits sont traditionnellement moins chers que les marques type Alter Eco ou Ethiquable.
Des opérateurs fragilisés
Et comme s’il fallait retourner le couteau dans la plaie, la hausse des cours sur les marchés agricoles a conduit à des hausses de prix sur bon nombre de produits, creusant un peu plus le fossé entre les préoccupations du consommateur et du citoyen. La forte volatilité des cours rend les transactions périlleuses et certains produits voient leur prix mondial crever le plafond du prix minimum garanti fixé par Fairtrade international (2,5 fois plus élevé en mai pour le café).La conséquence majeure de ce retournement de tendance est la fragilisation économique des opérateurs de l’équitable : les acteurs économiques comme Alter Eco ou Ethiquable d’une part, qui doivent se prémunir d’un retournement durable sans se départir de leurs principes de solidarité, mais aussi Max Havelaar France. L’association, responsable de la certification équitable, est financée à plus de 90 % par le droit de marque perçu sur chaque vente d’un produit estampillé Fairtrade Max Havelaar. En France, les mauvais résultats de l’année 2010 ont obligé l’association à conduire une diminution d’effectifs débouchant sur le départ de dix salariés sur les 38 que comptait la structure. Pour Christophe Roturier, ancien responsable du plaidoyer devenu directeur général à la suite du plan de départ volontaire, « si nous avions des certitudes sur l’avenir, nous ferions autrement. »
Revenir au « pourquoi »
Le deuxième effet de cette crise réside dans le recentrage de nombreux acteurs sur une parole plus politique. « Nous avons beaucoup parlé du « comment » du commerce équitable (le juste prix, la prime de développement), aujourd’hui nous devons revenir au « pourquoi » », estime Christophe Roturier. Dont acte. Lors de la Quinzaine, l’association quittera ses habits de promotrice du commerce équitable pour cibler davantage ses interventions sur la nécessaire régulation des marchés agricoles contre les pratiques spéculatives, prenant ainsi au mot Nicolas Sarkozy qui en a fait le chantier prioritaire de sa présidence du G20.Plus globalement, l’ensemble des membres de la plateforme pour le commerce équitable qui réunit une quarantaine d’entreprises, associations, commerçants (PFCE) souhaite ouvrir la démarche à d’autres sphères citoyennes. C’est ainsi que le commerce équitable Nord/Nord est devenu officiellement un sujet de discussion. Au-delà du lancement de gammes de produits équitables par les deux marques présentes en grande distribution (Alter Eco et Ethiquable), cette ouverture sort le commerce équitable de son image restrictive d’aide aux populations des pays pauvres pour retrouver sa vocation à proposer une autre vision des échanges commerciaux sur la planète. Une occasion, aussi, pour ces entreprises de poser un doigt hors du giron de la certification Fairtrade Max Havelaar, réservée aux échanges Nord-Sud.
Cet article de Philippe Chibani-Jacquot a initialement été publié le 13/05/2011 sur le site de Novethic, le média expert du développement durable.
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