Faire l’autruche : chercher à fermer les yeux sur l’imminence d’un danger. C’est à peu près le comportement adopté cette semaine par le social-démocrate Martin Schulz, président du Parlement européen. L’instance devait s’exprimer mercredi sur le Tafta (Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, dit aussi TTIP ou marché transatlantique). Sauf que face à un échec annoncé, le président du Parlement européen a préféré reporter le vote à l’été.
Pourtant, il ne s’agissait pas, pour les élus européens, de se prononcer sur l’adoption ou non du traité puisque les négociations sur son contenu sont encore en cours. Le vote de cette semaine était purement consultatif : il devait permettre aux députés européens d’influencer la Commission dans la conduite des discussions. Si une simple consultation ne peut avoir lieu faute de consensus, autant dire que l’adoption, un jour, du marché transatlantique, promet de longues discussions à l’assemblée. Explications en six points.
- TTIP, Tafta, quoi ?
Les acronymes se promènent sur des prospectus et affiches depuis quelques mois, voire quelques années. Que l’on parle de TTIP (le nom officiel), de Tafta (l’appellation choisie par les opposants) ou de marché transatlantique, l’objet désigné est en fait le même : une zone de libre-échange entre l’Union européenne (UE) et les Etats-Unis. L’idée n’est pas nouvelle. Certains diront que relier les deux zones commerciales découle de la chute du mur de Berlin ou de la volonté pour l’Occident de garder son hégémonie face à l’émergence de nouvelles puissances comme la Chine. Elle est devenue concrète le 14 juin 2013 lorsque les 27 Etats membres de l’UE ont donné leur accord à la Commission pour négocier en leur nom l’ouverture de la plus grande zone de libre-échange dans un marché représentant presque la moitié du PIB mondial. Depuis, une centaine de négociateurs se retrouvent tous les deux mois à Washington ou Bruxelles pour des discussions qui ont lieu à huis clos.
- Une zone de libre-échange, et alors ?
Permettre à deux territoires d’échanger librement leurs biens et services implique tout d’abord de supprimer les droits de douane. Entre l’UE et les Etats-Unis, ils oscillent entre 2% et 4% pour la majorité des produits. Ce n’est pas leur disparition qui inquiète les détracteurs du traité mais plutôt tout ce qui va autour : les obstacles non tarifaires. En clair, importer un produit français sur le marché américain ou vice versa implique de le rendre conforme aux exigences du pays dans lequel il sera vendu. Il est inimaginable, pour les entreprises, de maintenir deux lignes de production répondant à des normes différentes en fonction des marchés ciblés. Le cœur des négociations porte donc sur l’harmonisation des règlementations en vigueur dans ce gigantesque marché de 820 millions de consommateurs.
A titre d’exemple, les Américains autorisent le lavage au chlore de leurs volailles pour éradiquer les salmonelles alors que l’UE interdit un tel traitement. Idem pour le bœuf aux hormones que les anti-Tafta craignent de retrouver sur les étals européens. A l’opposé, les Américains sont réticents face au lait cru et fromages non pasteurisés et plus exigeants que les Européens en ce qui concerne les émissions de particules fines par les véhicules. Si les normes doivent converger, quelles seront les options choisies ? Les opposants à la zone de libre-échange craignent un nivellement par le bas des règles sanitaires et environnementales. Pour le moment, impossible de savoir à quoi ressemblerait l’accord. La Commission européenne s’est simplement engagée à ne pas franchir certaines « lignes rouges », sans que l’on ne sache vraiment à quoi elles correspondent.
- La peur des tribunaux privés
C’est l’autre point de crispation des anti-Tafta : la création de tribunaux d’arbitrage privés, appelé ISDS (pour Investor-state dispute settlement, mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et les Etats). Le mécanisme n’est pas nouveau. Il fait déjà partie de l’accord de libre-échange entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique par exemple. Son principe ? Permettre à une entreprise de passer par une cour d’arbitrage plutôt que par les juridictions nationales pour attaquer un Etat si elle considère que ses intérêts économiques sont lésés par un changement de législation par exemple. Le cigarettier Philip Morris a notamment utilisé le mécanisme pour attaquer l’Australie en 2011 après la mise en place d’une politique de santé publique anti-tabac à base de paquets neutres… similaire à celle adoptée par la France. C’est d’ailleurs pour éviter ce genre de conflits que le secrétaire d’Etat chargé du commerce extérieur, Matthias Fekl, a fait savoir que la France n’était pas en faveur d’un ISDS dans un document d’une quinzaine de pages rendu ce mois-ci à la Commission.
- Quels intérêts à signer ?
L’ouverture d’un marché transatlantique est présentée comme une opportunité de relance de la croissance pour les vieilles économies en crise. En réalité, les études sur les impacts d’une telle zone de libre-échange sont plutôt contradictoires. Dans son Docteur TTIP et Mister Tafta, le journaliste du Monde Maxime Vaudano analyse les promesses des partisans de l’accord transatlantique qui évoquent 119 milliards d’euros de croissance supplémentaire et 1,4 million d’emplois en Europe dont 122 000 en France. « La principale critique adressée à ces études est qu’elles se sont concentrées sur les gains potentiels du Tafta/TTIP sur le commerce transatlantique, sans s’intéresser aux impacts négatifs. » Sans présumer des bienfaits ou non de l’accord, l’auteur souligne aussi la déception qui a accompagné la mise en place de l’accord de libre-échange entre les Etats-unis, le Mexique et le Canada, en 1994. « Au lieu de créer des dizaines ou des centaines de milliers d’emplois, il en aurait détruit près de 700 000 aux Etats-Unis, principalement à cause de la concurrence mexicaine. »
- Et l’environnement dans tout ça ?
Le Tafta ne traite pas directement des enjeux environnementaux mais il pourrait avoir un effet indirect par au moins deux moyens. Premièrement : l’agriculture. Le libre-échange entre les Etats-Unis et l’UE devrait aussi concerner les denrées alimentaires. La France a déjà fait valoir son joker en excluant l’audiovisuel des négociations au nom de l’exception culturelle. Difficile donc d’imaginer sortir l’agriculture des négociations. Or, les cultures intensives américaines coûtent moins cher que les productions bon marché européennes... Deuxième impact possible : le gaz et le pétrole. Les Etats-Unis refusent d’exporter leurs énergies fossiles non raffinées depuis les crises pétrolières des années 1970. Cette décision devait leur permettre d’assurer leur indépendance énergétique, sauf qu’avec le boom du gaz de schiste, ils ne craignent plus les pénuries. De l’autre côté de l’Atlantique, les pays européens aimeraient, eux, réduire leur dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie. Si le traité devait aussi inclure l’énergie, il encouragerait alors les Etats-Unis à creuser (et donc polluer plus) au lieu de booster l’essor des énergies renouvelables.
- C’est pour quand ?
Pas pour tout de suite. Avant d’être adopté, l’accord sur le marché transatlantique devra être validé par le Parlement européen, les désormais 28 Etats membres de l’UE et les deux assemblées américaines. Une pétition citoyenne demandant aux institutions européennes de mettre fin aux négociations du Tafta a déjà recueilli plus de 2 millions de signatures. Côté politique, la majorité des Républicains se dit favorable à l’accord. Le Front de gauche, les écologistes et le Front national sont contre depuis le début. Le Modem et l’UDI sont moins virulents mais tout aussi réservés, tout comme une partie des socialistes partagés entre leur doute et le soutien à apporter au gouvernement. Car François Hollande a appelé lui à l’accélération des négociations lors d’une conférence de presse avec son homologue américain. « Aller vite n’est pas un problème, c’est une solution. Nous avons tout à gagner à aller vite, sinon nous savons bien qu’il y aura une accumulation de peur, de menaces, de crispations. » Quant à Barack Obama, président des Etats-Unis, il aimerait que l’accord soit passé avant son départ de la Maison Blanche à l’automne 2016. Seulement, quand le texte arrivera devant les instances pour être voté, il ne sera plus question de le réécrire. Ce sera donc à prendre ou à laisser.
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