L’atmosphère est festive au Camping de l’océan de Saint-Pierre-Quiberon (Morbihan), ce week-end de septembre. Des drapeaux et des ballons de baudruche bleus et roses flottent dans l’air marin. Sur le parking, éparpillées, quelques ouailles en marinières estampillées « Manif pour tous » guident les visiteurs vers une grande tente blanche où se regrouperont pendant deux jours moins de 300 fidèles. Bienvenue à la troisième université de la Manif pour tous (LMPT). L’occasion de répéter ensemble les mêmes obsessions réactionnaires – contre le mariage pour tous, la procréation médicalement assistée (PMA), la gestation pour autrui (GPA). L’occasion aussi de s’ouvrir à de nouveaux objectifs, en passant du rose au vert.
Ce dimanche, deuxième jour des débats, après la messe et le « réveil musculaire sur la plage », la question principale, c’est l’écologie version LMPT, une écologie dite « humaine » ou « intégrale ». Marianne Durano, 24 ans, philosophe et coauteure de Nos limites, pour une écologie intégrale (Le Centurion, 2014), prend la parole devant une armée de cheveux plus blancs que blonds. L’énergique jeune femme, issue du mouvement résistant-conservateur Les Veilleurs, déplore à la volée la fin de la neige en hiver, les eaux polluées des cimetières numériques du Ghana, la disparition des papillons, l’eugénisme illustré par ce qu’elle nomme les enfants OGM…
Comme son époux, Gaultier Bès, également « veilleur », la jeune intellectuelle écrit dans Limite, la nouvelle revue trimestrielle écolo-catho. Une publication lancée en septembre, allant dans le sens de cette nouvelle vague prônant un « anarchisme conservateur aussi bien de notre dignité que de notre planète », comme on peut le lire dans le premier édito. Bizarre ? Non, « logique », selon Ludovine de La Rochère, présidente de LMPT. « Le mouvement est dans une nouvelle étape de son développement. Ce que nous défendons, c’est le respect de l’humanité, qui est homme, qui est femme, souligne-elle, cigarette électronique à la bouche. Et pour nous, l’écologie, c’est considérer l’humain dans tout un ensemble d’équilibres, c’est ce que dit José Bové (qui s’est positionné contre la GPA et la PMA, ndlr) et nous sommes d’accord. »
L’écologie ? Un cheval de Troie
José Bové, un nom qui résonne tout aussi étrangement dans la bouche de Marion Maréchal-Le Pen. Nous la croisons à Bandol (Var), en pleine campagne pour la présidence de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur et au lendemain des inondations qui ont touché le sud de la France, au début du mois d’octobre. L’occasion parfaite de parler dérèglement du climat avec ses électeurs. Si la jeune députée se défend d’utiliser l’écologie à des fins électoralistes, elle n’hésite pourtant pas à en faire une question de « respect des frontières ». « Nous défendons l’idée d’un monde où des limites sont posées. La défense de la biodiversité, c’est aussi celle de la biodiversité humaine : les peuples et les identités existent. Les nier, c’est nier à la fois la nature humaine et la culture sociale. C’est le chaos, affirme-t-elle, avant elle aussi d’évoquer l’ex-leader de la Confédération paysanne. En tant que patriotes, nous défendons la polyphonie du monde face au magma mondialiste difforme dont est issu ce chaos qui menace de détruire les civilisations. L’écologie humaine, c’est refuser tout autant les OGM que la GPA. »
Le Rassemblement Bleu Marine et la LMPT ne sont pas les seuls à s’habiller de vert. Du gaz de schiste au scandale Volkswagen en passant par le changement climatique et les fermes industrielles, les préoccupations écolos sont aussi brandies par les Soraliens complotistes, les « identitaires » ou les volontaires du Puy-du-Fou en costumes. L’écologie serait-elle devenue le nouvel élément fédérateur des droites fortes et des conservateurs de tous poils ? C’est plutôt un cheval de Troie, selon Juliette Grange, philosophe spécialiste de l’écologie politique et auteure de Pour une philosophie de l’écologie (Pocket, 2012). « Le but, pour des mouvements comme Les Veilleurs et les néoconservateurs, c’est de récupérer des préoccupations comme l’écologie et d’instiller dans le discours leurs refrains, comme le mariage hétéro et l’anti-PMA. Quitte à rendre ce discours inaudible. » La philosophe ne s’étonne pas que les slogans comme « On ne lâche rien » ou « Sous les pavés, les idées » aient été répétés par les militants de la Manif pour tous. « C’est le fameux principe de rétorsion : on imite les révolutionnaires d’antan pour déplacer le curseur. » Une stratégie politique qui ne date pas d’hier. En 2004, déjà, l’original Philippe de Villiers croyait paraphraser Einstein avec Quand les abeilles meurent, les jours de l’homme sont comptés (Albin Michel). Le pensum pseudo-écologique cachait un ouvrage très nostalgique de la grandeur française (l’abeille est d’ailleurs le symbole de Napoléon).
Paniers bios et stages de survivalisme
Dix ans plus tard, c’est l’inénarrable polémiste Alain Soral qui se fait le chantre éditorial d’une écologie française de souche. Directeur de collection aux éditions Kontre Kulture, il publie des ouvrages antisémites et « antisystème », comme Mon retour à la terre : guide du néo-rural (2014), la méthode d’un permaculteur convaincu voulant « apprendre durement ce que des générations d’hommes ont su » et « s’enraciner dans une terre pour vivre enfin debout ». Mais ce n’est pas tout. Son association Egalité et Réconciliation propose une vraie dînette locale et soralienne. On y trouve des produits locaux « sains et enracinés » – des couches lavables aux graines de courgette en passant par les vins de pays, la gamme est vaste –, des stages de survivalisme intitulés « Prenons le maquis » – pour survivre au chaos en construisant des fours solaires –, et même des offres de paniers bios en partenariat avec des Amap (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne ) amies. Le journaliste Mathieu Molard, coauteur de Le système Soral, enquête sur un facho business (Calmann-Lévy, 2015) s’est longuement penché sur la question du greenwashing soralien : « Soral est le spécialiste de la récupération, il n’invente rien. En tant que souverainiste, il exploite à fond l’expectative d’un désastre économique ou écologique, d’où ces démarches de retour à la terre ou de décroissance qu’il relaie. Des idées à la Pierre Rabhi. Il a d’ailleurs failli débaucher l’un des fils Rabhi, un complotiste notoire qui écrit sur l’économie mondialisée. Ça, ça aurait été une jolie publicité ! »
Mais au-delà de la petite boutique bio et locale, l’écologie est surtout l’occasion pour les résistants « antisystème » de (res)sortir banderoles arguments. En 2011, le Bloc identitaire, ce groupuscule à la droite de l’extrême droite, dissout en 2013, prônait une « écologie militante et efficace » et encourageait ses militants bretons à « nettoyer la terre que [leurs] aïeux [leur] ont léguée », tout en laissant « les pitres tenant d’une caste politicienne au service d’une écologie arriviste (…) s’enliser dans des débats stériles et désuets ». Des arguments que l’on retrouve presque mot pour mot dans la bouche de Philippe Murer, président du collectif Nouvelle écologie – la branche écolo du Rassemblement Bleu Marine – créée en décembre 2014, un an avant la COP21. L’affable frontiste chante une approche « pragmatique, réaliste et patriote » aux antipodes de l’écologie politique représentée par Europe Ecologie - Les Verts. Le parti a beau être pronucléaire, il aurait plus que les autres les pieds enfoncés dans le crottin bio. Et c’est une communication bien huilée qui est là pour l’illustrer : tandis qu’en octobre Marion Maréchal-Le Pen rendait visite aux riziculteurs menacés de Camargue, Marine Le Pen s’aventurait à Dargnies, dans la Somme, chez un exploitant bio opposé à la mégaferme des mille vaches.
Zadistes, les frontistes ?
Mais il y a plus roots et anar encore : Notre-Dame-des-Landes. Un terrain sur lequel s’étaient déjà aventurés les « veilleurs » écolos-cathos de la Manif pour tous, en août 2013. Entre deux petits pains au chocolat, le patriote vert Philippe Murer nous explique pourquoi le lieu du – potentiel – futur aéroport de Loire-Atlantique était incontournable : « Le Front national s’est toujours opposé aux politiques de grands travaux inutiles. Nous avons organisé un colloque à Nantes sur la situation à Notre-Dame-des-Landes en octobre dernier et nous avons également collé des affiches et donné une conférence de presse sur place. » Zadistes, les frontistes ? Faudrait pas pousser le bouchon. « Nous ne sommes pas très prozadistes pour le côté violence et remise en cause de la sécurité, rétorque Philippe Murer. Mais la ferme des mille vaches comme Notre-Dame-des-Landes ont l’avantage d’être les points nodaux qui cristallisent les inquiétudes de nos électeurs et des Français en général. C’est important que nous soyons sur place avec nos idées et notre façon de faire. » Important ou bien pratique, chacun se fera son avis. —
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