En 1991, à l’initiative de Theo Colborn responsable scientifique du WWF USA, des scientifiques de toutes disciplines se réunirent pour la première fois afin d’échanger leurs inquiétudes sur les effets des substances chimiques agissant sur les hormones. Le terme « perturbateurs endocriniens » était né (1). Il désigne les substances créées par l’homme et émises dans l’environnement, ainsi que quelques substances naturelles, qui ont le potentiel de perturber le système endocrinien (ensemble d’organes et de tissus qui libèrent des hormones dans le sang) des animaux y compris celui de l’espèce humaine.
Ce qui n’était à l’époque qu’une hypothèse a généré par la suite des milliers d’articles scientifiques démontrant leurs impacts sur la santé des écosystèmes et de l’Homme. Les conséquences des dérèglements du système endocrinien peuvent être graves en raison du rôle important que les hormones jouent dans le développement de l’organisme. En France, le Réseau Environnement Santé (RES) et André Cicolella - son porte-parole actuel - ont été les lanceurs d’alerte sur le sujet. Bien que les risques liés aux perturbateurs endocriniens soient encore minorés, le combat contre ce mal invisible a enregistré une première victoire.
Le 3 mai dernier, à l’Assemblée Nationale, une proposition de loi défendue par le député Yvan Lachaud a été adoptée, contre l’avis du Gouvernement, par 236 voix contre 222 (2). Le texte interdit « la fabrication, l’importation, la vente ou l’offre de produits contenant des phtalates, des parabènes ou des alkylphénols ». Des substances qui étaient déjà classées officiellement comme « cancérigènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction ».
Méconnues du grand public, ces substances relèvent pourtant de notre quotidien. Les phtalates sont utilisés pour la fabrication de nombreux produits : peintures, vernis, colles, mastic, laques, encres, produits ménagers, produits phytosanitaires, etc. Les industriels ont recours aux parabènes comme agents de conservation dans la cosmétique (shampooings, crèmes hydratantes, mousses à raser, etc.), et les produits pharmaceutiques ainsi que le traitement d’aliments ou de boissons en tant qu’additifs alimentaires. Les alkylphénols quant à eux sont utilisés pour la fabrication d’adhésifs, peintures, émulsions de cires de parquets, nettoyants ménagers, matériaux de construction, plâtres chirurgicaux, sprays, lingettes, etc.
Les modes de diffusion des perturbateurs endocriniens sont multiples, allant de l’air à l’alimentation ainsi que l’eau. En 2010, une enquête du RES, Health & Environment Alliance et WWF sur le contenu de quatre repas classiques d’une journée pour un enfant d’une dizaine d’années (petit déjeuner, déjeuner, goûter, dîner) avait révélé la présence de 128 résidus chimiques, dont 37 perturbateurs endocriniens. Dans un rapport portant sur l’eau de boisson publié ce mois de mai 2011 (3), le WWF a dévoilé les résultats d’analyses faites à sa demande par deux laboratoires indépendants.
La seconde campagne d’échantillonnage d’eau du robinet réalisée en juin 2010 dans huit communes démontre que les concentrations en triazines (perturbateur endocrinien censé avoir été retiré du marché français) dépassent les normes autorisées par l’Union Européenne dans 3 communes. La limite est également dépassée, pour l’un des deux laboratoires, dans deux autres de ces communes.
Le PDG de Chimirec et six cadres ou ex-cadres de ce groupe de traitement de déchets dangereux ont été renvoyés cette semaine devant le tribunal correctionnel de Paris. Après une instruction de cinq ans ouverte à la suite de dénonciation d’anciens salariés, ils sont accusés d’avoir sciemment laissé échapper dans la Nature des huiles contenant des perturbateurs endocriniens. Des plaintes déposées par l’association Robin des Bois sont en cours d’examen contre d’autres sociétés dans le Nord-Pas-de-Calais et en baie de Seine. Mais identifier les responsables est souvent complexe, le montant des amendes prononcées par les tribunaux est faible, la notion de « crime environnemental » n’existe pas dans le Code pénal et notre pays compte 1300 inspecteurs pour 500 000 installations classées (un contrôle tous les dix ans en moyenne).
Dans un contexte où l’incidence des cancers, des malformations génitales, des atteintes à la fertilité est en progression constante, il est grand temps de considérer comme primordiale la relation de l’homme à son écosystème par une politique de santé environnementale ambitieuse. Ainsi, nos sénateurs sont appelés à faire preuve de la même détermination que leurs homologues députés en entérinant la proposition de loi. Toute modification de sa lettre telle que la « suspension » des substances chimiques incriminées en lieu et place de leur « interdiction » serait une régression.
La chasse aux perturbateurs endocriniens d’origine humaine commence à peine. Celle-ci doit être menée sans limite jusqu’au dernier !
[1] Déclaration de Wingspread
[2] Détail du vote
[3] Rapport « Eau de boisson » du WWF
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