La menace guettait l’Afrique de l’Est depuis plusieurs mois mais c’est seulement ces derniers jours que les Nations Unies ont reconnu la situation de famine dans deux provinces de Somalie : Bakool et Lower Chabelle. « Depuis avril, nous lançons des appels réguliers mais aujourd’hui l’urgence est là », estime Marie Wentzell, porte-parole du Programme alimentaire mondial en France (P.A.M). C’est aujourd’hui 11,3 millions de personnes qui souffrent de la faim dans cette région dont près de 3,7 millions en Somalie. Utiliser le mot « famine » n’est pas anodin et signifie concrètement pour l’ONU que le taux de mortalité dépasse les 2 personnes sur 10 000 par jour (il est actuellement de 7,4 parmi les réfugiés somaliens en Ethiopie) et que le taux de malnutrition aiguë dépasse les 30 %. Si ces deux provinces sont dans une situation critique, c’est aussi le Kenya, l’Ethiopie, une partie de l’Ouganda et Djibouti qui sont touchés par la crise.
D’après Oxfam, dans certaines régions, 60 à 90 % du bétail est déjà mort. Et les chiffres mesurant les besoins ne cessent d’être réévalués. « Suite aux retours de nos équipes sur le terrain, on estime désormais à 767 millions de dollars les besoins du P.A.M pour subvenir aux besoins des populations en difficulté jusqu’à la fin de l’année. Actuellement il nous manque 76 % de cette somme », explique Marie Wentzell alors qu’il y a 10 jours, Josette Sheeran, la directrice générale du P.A.M estimait cette somme à 477 millions de dollars. Plusieurs Etats comme la Grande-Bretagne ou l’Allemagne ont déjà annoncé une aide supplémentaire. Lundi soir, la réunion de crise au siège de la FAO à Rome n’a toutefois pas permis de récolter les fonds demandés par les Nations Unies - 1,2 milliard de dollars- pour répondre à l’urgence.
Sécheresse et conflits politiques : des facteurs aggravants
Le manque de pluie est bien sûr l’une des causes principales de cette situation - la sécheresse subie par la région étant la pire depuis 60 ans - mais les organismes et associations humanitaires en pointent d’autres. La hausse des prix agricoles notamment, qu’elle soit due à la sécheresse ou à la volatilité des marchés internationaux. « On estime qu’en Somalie, le prix du sorgho rouge a augmenté de 240 % en un an », précise Marie Wentzell. Les conflits politiques qui gangrènent la région depuis de nombreuses années ne sont pas non plus étrangers à la situation. L’organisation terroriste islamique Al-Shabaab avait d’ailleurs réussi à faire quitter le P.A.M du Sud de la Somalie début 2010 suite aux menaces constantes et à la mort de 14 employés dans cette région en l’espace de deux ans. Cela a aussi compromis l’aide américaine, pourtant grande donatrice pour la Somalie. D’après le journal anglais The Telegraph, les Etats-Unis ont réduit de 88 % leurs dons envers la Somalie depuis 2008.
S’attaquer enfin aux causes structurelles
Pour Oxfam, la situation cache un autre grave problème de fond politique, déjà soulevé lors du G20 agricole du mois dernier. « L’inaction politique contribue à la crise tout autant que la nature. […] Les zones les plus touchées ont subi des décennies de marginalisation et de sous-développement économique. La situation serait aujourd’hui différente si davantage de mesures avaient été prises en amont. » Même son de cloche du côté des Nations Unies. « Si nous continuons à répondre aux sécheresses et crises de cette façon, elles ne prendront jamais fin, il n’y aura pas de solution et l’aide sera toujours trop faible et arrivera toujours trop tard », a expliqué à Nairobi Jeffrey Sachs, conseiller spécial du secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon. Le P.A.M n’a pas attendu la situation pour travailler sur cette question. « Nous mettons en place depuis longtemps des programmes pilotes dans des régions-clefs, souvent touchées, afin d’augmenter la résilience des populations face à ces problèmes climatiques. Mais pour cela, il faut de l’argent en permanence », rappelle Marie Wentzell. Le programme Meret en Ethiopie a ainsi pour objectif de former les communautés locales à récupérer l’eau de pluie, faire du compostage et revaloriser des terres agricoles dégradées.
Une réunion très attendue
Pour Jean Cyril Dagorn d’Oxfam ces mesures restent insuffisantes. « L’investissement pour l’adaptation au changement climatique et l’augmentation de la résilience sont malheureusement loin d’être des priorités de l’aide publique au développement. Trop peu d’argent y est consacré. » Soutenir les politiques agricoles des pays en développement, améliorer le stockage et la transformation des denrées alimentaires et surtout constituer des stocks, tels sont les leitmotivs que l’association répète inlassablement. (« Pendant le G20 agricole, nous n’avons rien entendu sur la mise en place de réserves alimentaires à la fois d’urgence mais aussi de régulation. Dans la situation actuelle, avec des stocks de réserve très faibles, on se rend compte qu’il est essentiel de soutenir des politiques allant dans ce sens dans ces pays », ajoute-t-il.
Si la réunion du 25 juillet était très attendue, le montant des soutiens financiers des Etats ne sera connu que mercredi 27. « Nous souhaitons une vraie mobilisation internationale, une réelle prise de conscience de l’urgence », prévient Marie Wentzell. « Nous aimerions aussi pouvoir aborder des questions sur le long terme mais là rien n’est moins sûr. Espérons quand même qu’on ne laissera pas passer cette crise comme une crise de plus et qu’elle sera la dernière issue de l’inaction politique », ajoute Jean Cyril Dagorn. Lundi soir, OXfam a réagi à l’issue de la réunion en estimant « honteux » que seuls quelques pays riches se soient engagés (voir encadré).
Oxfam : il manque 900 millions pour l’aide d’urgence
« Pour le moment, seule une poignée de gouvernements des pays développés se sont montrés prêts à s’impliquer pour sauver les vies des plus pauvres et des plus vulnérables en Afrique de l’Est, indique Luc Lamprière, d’Oxfam France, à l’issue de la réunion du 25 juillet. Il reste encore deux mois avant l’arrivée des premières pluies et la situation est déjà désespérée. Le moment est crucial : la communauté internationale doit impérativement combler les 900 millions de dollars manquants pour l’aide d’urgence. Il ne reste que deux jours avant la réunion de Nairobi sur les financements pour la crise. La France et les pays, qui ont pris des engagements limités, doivent arriver à cette conférence avec des annonces additionnelles. »
Cet article de Pauline Rey-Brahmi a initialement été publié le 25/07/2011 sur le site de Novethic, le média expert du développement durable.
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