François Héran est chercheur à l’Institut national d’études démographiques (Ined)
Terra eco : L’immigration est-elle nécessaire pour soutenir la démographie française et lutter notamment contre le vieillissement de la population ?
François Héran : Non, l’immigration en France ne complète la démographie qu’à la marge. Si nous n’avions pas d’immigrés, au lieu de 2 enfants par femme, on en compterait peut-être 1,85 ou 1,9. C’est assez faible. Comme une naissance sur 6 est liée à l’immigration, les gens pensent souvent que l’apport est important. Mais les mères étrangères représentent une petite minorité : 10% ou 11%. Elles ne font pas beaucoup varier la moyenne du taux de fécondité. Dans la plupart des pays voisins, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, c’est différent, parce qu’il y a plus de décès que de naissance. Alors que chez nous, même sans l’immigration, les naissances restent supérieures de 300 000 individus aux décès. On peut aussi raisonner d’une autre façon, en considérant l’apport des immigrés dans la population active. Avec le niveau d’immigration actuel et au rythme de ses naissances, l’Allemagne devrait perdre 20% à 25% de sa population active dans les cinquante prochaines années, si elle continue comme ça. Mais la France, grâce à la vitalité de sa démographie et le petit complément actuel de l’immigration, stabilise à l’inverse sa population active.Cela veut-il dire que la France n’a pas besoin de nouveaux entrants ?
Certains le disent. On peut en effet estimer qu’on accueille relativement peu de nouveaux immigrés chaque année par rapport à d’autres pays. Mais c’est parce que l’immigration en France est une infusion constante depuis le XIXe siècle. Il n’y a pas eu de grandes bulles migratoires comme en Allemagne dans les années 1990 ou en Espagne dans les années 2000. En revanche, les immigrés ou les enfants d’immigrés constituent 20% de la population. C’est une baignoire qui se remplit lentement mais sûrement. Alors, poser une question du genre : « que se passerait-il si les immigrés cessaient de participer à l’activité économique ? », ça revient à se demander ce qu’il se passerait si 20% de la population se retirait de la vie économique. Les hôpitaux, les industries ne résisteraient pas.L’immigration française telle qu’elle existe aujourd’hui pose-t-elle néanmoins des difficultés ?
Le problème, c’est que la majorité de nos migrants ne sont pas des gens que l’on accepte de faire venir mais qui viennent en fonction de l’application du droit international. Ces flux sont donc difficiles à réguler. Le plus gros flux en France est le regroupement familial qui comprend l’unification familiale (un immigré déjà arrivé en France fait venir du monde), soit 35 000 personnes par an et la migration matrimoniale (un Français qui épouse un étranger), soit 50 000 personnes par an. Souvent, ce sont des Français d’origine maghrébine qui reviennent au pays pour épouser une fille de leur région d’origine. Le problème, c’est qu’au niveau de l’éducation des femmes, plus encore au Maroc qu’en Algérie, il y a un fort taux d’analphabétisme. Il y a bien eu des lois qui exigent par exemple un niveau de langue française convenable, la vérification de la validation du mariage, mais ça n’a pas diminué ce flux-là qui n’est pas facile à réguler. Il y a enfin le flux étudiants qui représente 50 000 personnes par an mais il s’agit là d’une immigration qualifiée, il ne faut pas s’en plaindre. Il y a ensuite la migration d’asile, environ 18 000 personnes, dont une bonne partie dépend de l’application du droit international. En clair, la marge de manœuvre sur l’immigration est assez faible.
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