La Cour des comptes rend son rapport sur le coût du nucléaire le 31 janvier. Etes-vous satisfaite ?
La Cour des comptes a fait une recherche sérieuse, mais il y a des domaines qu’elle ne peut, ni ne sait chiffrer. Qui est capable d’évaluer le coût réel du stockage de 2,5 kg de plutonium pendant trente mille ans ? Ce n’est pas de la mauvaise volonté de la part de la Cour des comptes. Seulement, cette question est absurde ! Comment a-t-on pu se mettre dans une situation où nous avons à assurer la sécurité absolue d’une substance monstrueusement dangereuse, qui n’existe pas dans la nature et que l’espèce humaine a créée ? La Finlande, qui a commandé un EPR à la France, va devoir garantir la sécurité de ses déchets nucléaires sur plusieurs dizaines de milliers d’années : une période plus longue que celle qui va du début de son peuplement à nos jours !
Vous ne changez donc pas d’un iota votre programme sur l’arrêt de l’atome…
Non. Le nucléaire, au bout du compte, n’aura été qu’une parenthèse de l’histoire. Cette industrie n’a jamais été une solution. Il faut l’arrêter au plus vite.Comment ?
Il faut étaler son arrêt sur vingt ans. Nous fermerons les centrales les plus anciennes – Fessenheim en tête – et installées sur les territoires les plus peuplés. Je renvoie aux études réalisées par les experts de Négawatt. Ce tournant sera possible grâce à une montée en puissance de toutes nos énergies renouvelables – pas seulement l’éolien, mais aussi le photovoltaïque, la biomasse, le biogaz, l’énergie marémotrice, la géothermie… Il faudra aussi accompagner cette transition d’une modification significative de nos habitudes de consommation.Vous déclinez la transition sous toutes ses formes : énergétique, économique, sociale. Les citoyens y sont-ils prêts ?
Tout le monde voit bien vers quelle société nous souhaiterions aller, sans que cela nous fasse revenir à la bougie, comme aiment à le faire croire certains commentateurs. Nous voulons tous un air plus pur, une alimentation saine, des énergies propres et disponibles. Ce qui est plus complexe, c’est comment y arriver. A nous, à moi, de susciter l’adhésion à ce chemin qui nous emmène, d’un monde régi par un modèle productiviste, à un autre monde, désirable et régi par l’intérêt général.En 2007, le thème de l’écologie était porteur. A cause notamment des climatosceptiques et de la crise, il semble avoir disparu…
Nicolas Sarkozy a renoncé. Le Grenelle avait mis au cœur du débat politique les questions d’environnement, mais aujourd’hui, il se contente de dire : « L’environnement, ça commence à bien faire. » Ce président est tellement décalé qu’il arrive à prendre des mesures qui, face à une crise, aggrave cette crise. Il est à côté de la plaque. Maintenant, la situation n’est plus celle de 2007. La crise est arrivée brutalement, mais elle n’est pas qu’économique et financière. Il nous faut faire entendre que, si l’environnement n’est pas le principal problème des Français, l’écologie est sans aucun doute la solution.C’est dans ce contexte que la note financière de la France a été dégradée par Standard & Poor’s…
Cette dégradation n’est pas celle de la France, mais celle de la politique de Sarkozy et de ses mesures d’austérité. C’est bien le modèle ultralibéral qui est visé. Nous l’avons adopté ; il est aujourd’hui en défaillance et nous en subissons les conséquences. Nous assistons à un dépôt de bilan. Les mesures d’austérité préconisées sont dans l’incapacité de produire de bons résultats. C’est aussi cette politique qui condamne toute politique d’avenir et de transformation économique. C’est une spirale descendante et ce n’est pas de la sorte que nous allons nous en sortir.Que prônez-vous ?
La réponse à nos problèmes se situe à l’échelle européenne et avec l’ambition de la conversion écologique. Pas avec nos mini-traités négociés entre Sarkozy et [la chancelière allemande Angela] Merkel, mais dans une Europe fédérale, dotée d’une politique sociale et fiscale commune et au sein de laquelle il y a davantage de solidarité. L’austérité n’est pas une fatalité. Je propose de baisser de 20 milliards d’euros par an le déficit budgétaire et d’investir dans le même temps 15 milliards dans la conversion écologique de l’économie. Il faut parallèlement créer un fonds européen de désendettement, un pot commun qui serait alimenté par une partie des dettes respectives des Etats, qu’ils s’engageraient à rembourser, mais sur une période plus longue.Cette « conversion » n’a pas l’air de convaincre les électeurs…
Prendre conscience des grand enjeux, notamment du fait que cette crise est financière, certes, mais aussi sociale et écologique, c’est complexe. Les grands médias ne regardent pas le monde sous cet angle-là. En temps de crise, on se replie sur soi et on aime penser que demain pourrait ressembler à hier quand la vie était meilleure. Pourtant, dans le monde entier, on sait que c’est le seul chemin qui existe pour nous donner un espoir pour les trente prochaines années. J’observe aussi que les débats, notamment sur le nucléaire, sont très neufs. Et j’ai la faiblesse de croire que, sans les écologistes, les mensonges de la « nucléocratie » auraient prévalu.A insister sur les dangers de notre société, ne finissez-vous pas par faire peur ?
Les changements font peur, je veux bien l’admettre. Mais croyez-vous que les 5 millions de chômeurs en Espagne, les 4 millions en France, les villes dont la population entière est précarisée, rassurent ? Nous sommes d’une certaine façon la dernière chance pour la démocratie. Si nos idées dans le monde ne l’emportent pas, des milliards d’êtres humains resteront dans la pauvreté, et une minorité riche s’assurera de pouvoir disposer des ressources – l’eau, l’énergie –, et de la beauté du monde, y compris par la voie des armes. Et puis, on peut déjà observer, même partiellement, ce que donnerait une société en transition. A quoi ressemble une agriculture biologique, comment fonctionne une commune autonome à 30 % ou 40 % en électricité par exemple…Les idées de votre « famille » sont-elles trop en avance sur les besoins de la société ?
Je suis habituée. Quand j’ai commencé à m’attaquer aux questions de corruption, nous étions trois ou quatre dans le monde. Dix ans plus tard, il y a cinq conventions internationales. Maintenant, face à la question climatique, il y a urgence. A nous de nous en saisir. On n’a pas le temps d’attendre.La peur et le rejet, c’est le terrain idéal pour le Front national…
Nous ne sommes pas au terme de cette campagne. La progression de l’extrême droite m’inquiète, non seulement en France, mais partout en Europe, notamment en Hongrie. Je voudrais qu’on prépare 2030 et non pas 1930, comme le fait Marine Le Pen. En somme, le seul moyen de faire reculer la peur et la haine qu’elle propose, c’est d’avoir un projet d’espoir et d’avenir.Si vos partenaires socialistes saluent l’expertise sur l’environnement des écologistes, ils n’hésitent pas à venir vous « chercher » sur le social…
Pourtant, je suis la seule à faire des propositions ! J’attends toujours les leurs ! Sur le logement, la santé, le travail, la gouvernance, la biodiversité, les rapports Nord-Sud, je fais des propositions à longueur de journée.Une écologie davantage tournée vers le social est donc possible…
On ne peut traiter la crise écologique sans justice sociale. Récemment, je me suis rendue à Arcueil (Val-de-Marne). La moitié de la population y vit avec « un reste pour vivre » de 10 euros par jour. L’injustice aujourd’hui est insupportable.Si vous êtes au pouvoir dans trois mois, quelle sera votre première mesure sur ce terrain ?
D’abord, notre conversion écologique produit mécaniquement des effets sur le pouvoir d’achat, car nous réduisons les dépenses. Par l’isolation des bâtiments, on peut diviser les charges par deux. Nous imposerons des normes strictes aux fabricants pour une consommation moindre et une durabilité plus longue. Devoir changer moins souvent de lave-linge ou de téléphone aura une incidence sur le train de vie : 300 à 400 euros par an et par famille. Nous proposerons une alimentation bio à la cantine, de nouvelles crèches, la prise en charge du quatrième âge, une allocation pour les moins de 25 ans de 600 euros… Une grande politique de 900 000 logements sur huit ans rattrapera le déficit.Et vous promettez de créer un million d’emplois d’ici à 2020…
Oui, 491 000 dans l’« économie verte » et 490 000 dans le « vivre-mieux ».Pourquoi cette mesure de rupture ne prend-elle pas davantage ?
On a trop longtemps dit aux Français : « Vous savez, on a tout essayé. » Ils ont perdu confiance dans la démocratie. J’ai envie de leur dire que personne n’a encore osé l’écologie.Eva Joly, c’est dur la politique ?
Ce qui est certain, c’est qu’il y a une maladie française qui fait qu’il est difficile d’être entendu sur le fond. Pour comprendre les enjeux, il faut travailler. Combien de journalistes le font ? Très peu. Ils ne font que surfer. Qui plus est, sans avoir le bagage nécessaire. Ils pensent que ce que dit [le pédégé d’EDF Henri] Proglio est vrai et magnifique !Avez-vous le sentiment que votre famille politique vous soutient suffisamment ?
J’en ai la certitude.Verra-t-on un meeting Joly-Hulot pendant cette campagne ?
Ça ne dépend pas de moi.Nicolas Hulot ne veut pas ?
Ça ne dépend pas de moi.Et vous, le souhaiteriez-vous ?
Sa place est dans notre famille. Je sais qu’il ne lâchera rien, et défendra nos idées et nos valeurs, avec nous.En dates
1943 Naissance à Oslo, en Norvège
1981 Entrée à l’Ecole nationale de la magistrature, en France
1990 Nommée juge d’instruction au pôle financier du Palais de justice de Paris
1996 Fait incarcérer Loïk Le Floch-Prigent, ancien pédégé d’Elf
2002 Conseillère du gouvernement norvégien dans la lutte contre la corruption et la délinquance financière
2008 Rejoint Europe Ecologie
2009 Elue députée européenne
Juillet 2011 Remporte la primaire d’Europe Ecologie – Les Verts avec 58,16 % des voix
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