Cela fait dix ans que les Robins des bois viennent en aide aux familles qui subissent des coupures d’électricité, allant jusqu’à les rebrancher au réseau sans l’accord du fournisseur. Siégeant à Belfort depuis 1985, l’association lutte contre la précarité énergétique et n’hésite pas à recourir à un réseau national de membres anonymes, dont des salariés d’ERDF.
La précarité énergétique ? C’est, selon l’Insee, 3,8 millions de ménages français qui peinent à payer leur facture d’électricité. La situation n’a été reconnue que tardivement en France et a été définie dans la loi Grenelle II du 12 juillet 2010. Le gouvernement considère qu’un foyer se trouve en situation de précarité quand plus de 10% de ses revenus sont consacrés aux dépenses énergétiques. En 2008, selon l’Ademe, les ménages les plus pauvres y ont accordé 15% de leurs revenus contre seulement 6% pour les plus riches. Les hausses du prix de l’énergie et les logements mal isolés sont les premières cause de cette situation.
« Système déshumanisé »
« Souvent, les gens font l’impasse sur leur facture parce que l’électricité est perçue comme quelque chose de naturel, d’automatique, explique Pascal Tozzi, secrétaire de l’association Robins des bois. Mais quand ils sont mis face à la coupure, ils mesurent les conséquences de leur choix. » « Marginales », les interruptions d’alimentation électrique s’appliquent néanmoins. Et ce, même si les services publics prévoient que l’électricité est un bien de première nécessité. Pascal Tozzi critique d’ailleurs le « caractère complètement déshumanisé du système. C’est une machine qui prévient la famille par téléphone qu’elle va être coupée dans les 48 heures. Puis, la coupure est réalisée sans rencontrer les usagers alors que les techniciens sont normalement obligés de le faire. »
Une fois alertée de la coupure, l’association interpelle le fournisseur et fait pression sur les pouvoirs publics et les élus. En tant que médiateur, elle se porte garant pour les usagers en difficulté qui hésitent souvent à se manifester auprès des administrations. « Le problème, c’est qu’aujourd’hui les collectivités manquent de moyens pour aider les personnes et les services sociaux ne peuvent plus faire face à cause du manque de budget, continue Pascal Tozzi. Les délais pour une demande d’aide par le fonds de solidarité pour le logement (une aide financière destinée à payer « les dettes de loyer ou les charges locatives », ndlr) sont passés d’un mois à quinze jours avant l’envoi de l’ordre de coupure ! »
Une centaine de personnes aidées chaque année
Malheureusement, l’association est de plus en plus sollicitée. « Entre 2010 et 2011, le nombre de cas traités a été multiplié par 10 ! », déplore Pascal Tozzi. La mise en place du site Internet des Robins des bois y est sans doute pour beaucoup. En tout, ils aident chaque année une centaine de personnes dans le besoin et souvent très vulnérables. « On a des cas qui se répètent d’une année sur l’autre. C’est vraiment préoccupant car ce sont des situations où il y a des enfants, des personnes âgées ou handicapées. Le cas le plus grave que nous ayons rencontré était un enfant avec une sonde gastrique. La famille avait été privée d’électricité pendant plus d’une semaine. » Les choses sont-elles amenées à changer ? Une proposition de loi a en tout cas été déposée en janvier par Marie-George Buffet pour élargir la trêve hivernale des coupures d’électricité et de gaz, applicable selon des critères jugés trop restrictifs.
L’arrivée du nouveau compteur intelligent Linky ne réjouit pas l’association. Permettant de connaître sa consommation électrique en temps réel, il devrait être progressivement installé dans les foyers français à partir de fin 2013. « Le fournisseur pourra suivre la consommation et couper à distance », regrette Pascal Tozzi. Pis, les moyens d’intervention de l’association seront réduits. « Jusqu’à présent nous n’étions pas dans l’illégalité, car nous n’effectuions pas d’intervention délictueuse sur le matériel et le compteur n’était pas stoppé (des agents d’ERDF anonymes rebranchaient simplement les foyers, ndlr). Là, il faudra intervenir bien en amont sur le réseau informatique et il y aura effraction. »
Pascal Tozzi est amer : « La société d’aujourd’hui a réussi à banaliser l’énergie comme un produit de consommation courante. Dans la santé, l’éducation, c’est le même combat : on fait de tout une relation client/fournisseur. C’est un concept destructeur des valeurs du service publique. On est dans une société qui privilégie l’argent plutôt que l’humain. » Un phénomène qui semble s’étendre avec la crise. En Grèce, près de 10% de la population ne peut plus payer l’électricité. Un militant écologiste de la ville de Veria a donc décidé d’agir comme les Robins des bois. Son collectif « Les citoyens de Veria » reconnecte les câbles des foyers pauvres privés d’électricité. Une action de solidarité citoyenne qui ne s’arrêtera pas de sitôt.
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