Imaginez que vous êtes un Francilien en recherche d’emploi et que, coup de chance incroyable, vous décrochiez coup sur coup deux entretiens d’embauche, à deux heures d’intervalle. Le premier est à Nanterre, dans les Hauts-de-Seine, au nord-ouest de Paris. Le second est à Vélizy-Villacoublay, dans les Yvelines, 12 km plus au sud à vol d’oiseau, 20 km par la route. Sauf que vous n’avez pas de voiture. Le réseau de transports en commun d’Ile-de-France vous oblige à revenir à Paris, pour repartir dans les Yvelines. Pas très logique, et très long. Résultat : vous loupez votre deuxième rendez-vous.
Cette anecdote relève du vécu, celui de Grégoire de Pins. C’était à la fin de l’année 2012. A défaut de décrocher un job, il a tiré de cette galère des transports – qui est le quotidien de centaines de milliers de Franciliens – une idée qui lui a, au final, permis de créer son propre emploi. Avec deux autres comparses, Grégoire de Pins a fondé Sharette (mélange de l’anglais share – partager – et de charrette). Cette application gratuite pour mobile propose de « faire de la voiture un nouveau mode de transport en commun collaboratif », explique-t-il. Parti du constat que « d’un côté, 5 millions de voitures transitent chaque jour en Ile-de-France avec, en moyenne, 1,1 occupant par voiture, et que de l’autre côté des milliers de personnes non motorisées sont confrontées à des problèmes de mobilité », il a développé une application de covoiturage courte distance en Ile-de-France.
Un trajet en voiture au prix d’un ticket de métro
Le principe est le suivant : un usager renseigne la destination à laquelle il souhaite se rendre. L’application calcule pour lui le trajet le plus rapide, mêlant transports en commun (l’offre de la RATP et de la SNCF a été intégrée dans l’appli) et offres de covoiturage. La voiture peut ne représenter qu’une étape du trajet suggéré, qui peut inclure une partie en bus, tramway, RER ou TER.
Si un usager trouve une offre de covoiturage qui lui convient, il réserve via l’appli une place dans la voiture, pour un coût de 1,70 euro (qui équivaut à un ticket de métro acheté à l’unité) quelle que soit la distance à parcourir. Le paiement se fait via un porte-monnaie électronique embarqué dans l’application. La somme est ensuite versée en intégralité au conducteur. Ce dernier n’a, de son côté, qu’à renseigner le trajet et l’horaire prévus, au maximum 24 heures à l’avance. « Car le covoiturage courte distance, pour bien fonctionner, doit être instantané », précise le cofondateur. Sharette calcule huit points de passage possibles sur ce trajet, qui seront les éventuels points de prise en charge d’un passager. « Le but est qu’il n’y ait aucune contrainte pour le conducteur, qui ne doit pas avoir à faire de détour. Quand une offre correspond à un besoin, on met en contact covoitureur et covoituré, qui règlent les détails par téléphone », poursuit Grégoire de Pins. Un système de notation permet aux uns et aux autres de s’évaluer (ponctualité, conduite, etc.)
Une appli pour l’instant réservée à des communautés fermées
L’application devrait être ouverte au grand public courant 2015. En attendant, elle est proposée à des communautés fermées, essentiellement des campus étudiants comme ceux d’HEC, de l’Essec, de Centrale, de Polytechnique ou de Supélec. Des partenariats avec des entreprises sont en phase de lancement. Un pilote réalisé de septembre 2013 à mai 2014 sur le campus d’HEC a permis de constater qu’« il y a une vraie demande ». En l’espace de huit mois, 842 sièges ont été réservés et 17 000 km de covoiturage effectués. Pour les particuliers, le téléchargement de l’application est gratuit et a vocation à le rester. « Le modèle économique pérenne, on le verra plus tard », écarte Grégoire de Pins, qui explique toutefois que, pour les entreprises, l’application sera vendue sous forme de licence annuelle, impliquant son usage par les salariés mais aussi une étude sur l’amélioration du bien-être de ces derniers, sur l’impact carbone du covoiturage et sur le temps gagné en transports. Des éléments sur lesquels l’entreprise pourra communiquer.
Mais combien de conducteurs seraient vraiment prêts à faire de leur voiture un banal transport en commun ? Beaucoup, juge-t-on chez Sharette. « Car les Français se détachent de l’objet social qu’est la voiture, qui est bien moins qu’avant le reflet du niveau social. Les trentenaires diplômés sont nombreux à ne pas en posséder et le succès du covoiturage longue distance, auprès d’une population de plus en plus large en atteste. » Et même à 1,70 euro, partager sa voiture peut être financièrement intéressant. Car le coût d’une voiture, bien qu’en baisse, est encore de 4300 euros par an et par ménage, selon les derniers chiffres de l’’Institut national de la statistique et des études économiques.
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