Beaucoup d’Académiciens redoutaient un tel parrainage. Ils n’ont pas eu leur mot à dire. Comme le règlement l’y autorise, c’est la commission administrative centrale où siègent des représentants des 5 académies qui a statué. La fondation Ecologie d’avenir de Claude Allègre a reçu l’adoubement de l’Institut de France le 17 juin. Hervé Le Treut, Edouard Brézin, Ghislain de Marsilly, aucun des académiciens contactés n’étaient au courant avant cette fin septembre. Beaucoup l’ont appris avec la parution d’un billet d’Hervé Kempf dans Le Monde le 27 septembre.
« Je n’ai pas été informé officieusement, ni officiellement, confirme Ghislain de Marsilly, hydrologue. A ma connaissance l’Académie des sciences n’a pas été consultée, c’est une décision pure de l’Institut. » Mais ce n’est pas tant ce silence qui froisse l’académicien. « C’est sur le fond que je trouve ça scandaleux. Que l’Institut cautionne la création d’une fondation pour l’environnement sous l’égide de Claude Allègre, un homme qui a vilipendé, traîné dans la boue les scientifiques sans vergogne... L’image de l’Institut en sort ternie » Une indignation partagée par une climatologue : « Les bras m’en tombent. Qu’au XXIe siècle, un grand scientifique certes, mais surtout un homme habile prêt à tous les coups et à raconter n’importe quoi soit ainsi cautionné par l’Institut de France ne peut que contribuer à saper la confiance accordée à nos institutions. J’ai une vraie frustration face à la capacité de conviction de ce menteur pathologique... »
Rejet légitime ou excommunication ?
Selon eux, pas de doute, l’Institut aurait dû refermer violemment les portes au nez du sieur Allègre. Pour Albert Fert au contraire, Nobel de physique et membre du conseil d’orientation d’Ecologie d’avenir, le bannissement aurait été une erreur : « Il ne faut pas excommunier les gens parce qu’ils ont dit ceci ou cela. Nous ne sommes pas à la période de l’Inquisition ou sous un régime soviétique… Si on n’est pas d’accord avec Allègre, il faut discuter. » « C’est vrai que la pire des choses pour notre communauté, c’est de donner l’impression qu’on est censeur, qu’on refuse la position des uns et des autres. On peut avoir des doutes sur ce que fera la fondation, on peut être surpris quand l’Institut l’adoube mais quant à aller au-delà… il faut faire attention », concède Hervé Le Treut, climatologue.
Claude Allègre, lui, peut se satisfaire de ce prestigieux appui, d’ailleurs largement mis en avant sur le site Internet de sa fondation. « L’Institut de France, ce n’est pas n’importe quoi comme maison. Si Allègre avait fait une association 1901, elle aurait été moins crédible », précise Ghislain de Marsily. Une belle caution, une jolie garantie de ressources aussi. Car les fondations accueillies dans le giron de l’Institut peuvent promettre aux généreux particuliers une réduction d’impôt de 66% du montant de leur don ou de 60% pour les entreprises mécènes.
Le climat non grata
Mais pour tenter de calmer les ardeurs, l’Institut a mis à son adoubement une condition : faire silence sur la question climatique. « Ça fait partie de l’accord avec l’Institut de France et c’est inscrit dans les statuts, confirme Laurent Chambenoît d’Ecologie d’avenir. On a bien d’autres sujets à aborder. Le climat est devenu une question trop politique. Et si on se mettait à en parler, certains membres du conseil d’orientation démissionneraient. » Ce serait sans doute le cas d’Albert Fert. « Allègre, je le connais depuis longtemps et je suis en désaccord avec lui sur les problèmes du climat. Mais j’approuve son idée de chercher des solutions au problème de la planète grâce à la science. »
A en croire son site Internet, la fondation devrait être un lieu d’échanges entre « scientifiques, économistes, humanistes et monde de l’entreprise et de l’innovation technologique. » De quoi, promet-elle, en finir avec les positions alarmistes et proposer des solutions technologiques concrètes aux problèmes environnementaux actuels. Alors utile la fondation ? « Je ne sais pas ce qu’elle va dire, ce qu’elle va vouloir ou pouvoir faire, en quoi elle va interférer dans le débat », confie, prudent, Hervé Le Treut. « Cette collision entre industriels, médias et scientifiques n’a pas vocation à surmonter les barrières, il va s’agir d’un espace de lobby », assure quant à elle la climatologue interrogée.
Affichage : Voir tout | Réduire les discussions