« Eco-Vallée », c’est le nom de la giga-opération d’aménagement sur ce qu’il reste de foncier disponible dans la métropole niçoise. Le cauchemar éveillé de certains Niçois. Le symbole de la mégalomanie du maire Christian Estrosi (UMP) pour beaucoup d’autres.
A l’image de son aéroport international, dont la piste a été gagnée sur la mer, la ville va s’agrandir dans le lit du Var, un fleuve colérique, nourri aux torrents des Alpes. Ici, dompter la nature est toujours possible, ce n’est qu’une question de volontarisme politique et de moyens.
Ça tombe bien : le maire, fils politique de Jacques Médecin et ami de Nicolas Sarkozy, a une vision grandiose de sa ville.
A la fin du mois d’avril, tout ce que Nice compte de bâtisseurs, les donneurs d’ordre publics et les entreprises privées en passant par les sociétés d’économie mixte, se sont donné rendez-vous sous les ors de la villa Masséna, voisine du Negresco, sur la promenade des Anglais.
L’occasion : la signature, devant la presse, de la « charte d’adhésion au cadre de référence pour la qualité environnementale de l’aménagement et de la construction dans la plaine du Var ». Dans la novlangue d’Eco-Vallée, cela veut dire que les entreprises du BTP jurent qu’elles feront encore mieux que les normes environnementales en vigueur.
« Qu’y a-t-il d’écologique à bétonner la campagne ? »
Le député-maire Christian Estrosi célèbre l’entrée dans la phase opérationnelle de son grand projet, l’opération d’intérêt nationa « Eco-Vallée ». L’élu prévient d’emblée que ses propos pourraient sembler « arrogants » s’ils n’étaient « visionnaires » :« La vérité, c’est que les industriels, Cisco, Schneider, GDF-Suez, nous ont choisis comme territoire de référence. Quand ils regardent la planète, le clignotant s’allume chez nous. » A l’issue de la conférence de presse, les journalistes sont priés de faire la photo des partenaires tout sourire.
L’animal politique a réponse à tout. Et manie à merveille tout le vocabulaire à la mode, et les mots magiques de « croissance verte » : « “Eco-Valley”, c’est un peu comme la Silicon Valley, un espace identifié de 10 000 hectares, où nous allons développer à la fois de l’industrie tournée vers de la croissance verte, des énergies renouvelables, les matériaux du futur, les grands partenariats avec les laboratoires de recherche tournés vers le développement durable... »
Interview de Christian Estrosi, maire de Nice par rue89
Au pays de Nice-Matin, récemment racheté par Bernard Tapie, les voix discordantes ont bien du mal à se faire entendre. Selon Christian Gallo, auteur du blog Ficanas : « Ici, le mot “Eco-Vallée” fait rire tout le monde : qu’y a-t-il d’écologique à bétonner la campagne ? »
Seulement un hectare grignoté
Il suffit de regarder la topographie pour comprendre ce qu’est Eco-Vallée : l’aménagement de la seule et unique plaine de Nice. Une plaine aussi fertile qu’anarchique, où les villages côtoient les champs et les déchetteries. « J’ai connu des gens qui vivaient sur des parcelles de 4 500 m2 et faisaient quatre récoltes par an », raconte Jean-Marc Fonseca, ancien cadre dans l’audiovisuel devenu berger, nostalgique du temps où les politiques ne parlaient pas de « coulée verte », de « théâtre de verdure », de « jardins suspendus », mais où cette terre nourrissait les Niçois.L’opération doit composer avec les 116 000 habitants qui vivent là. Parmi eux, bien peu sont au courant de ce qui va leur arriver dans les quinze ans qui viennent – et encore moins prêts à s’y opposer. Promis, dit l’Etablissement public d’aménagement, sur les 10 000 hectares que couvre Eco-Vallée, seuls 450 vont « muter » et « la consommation globale d’espace ne sera que d’un hectare », assure son président Christian Tordo.
Les automobilistes ? Ils risquent de « péter les plombs »
Pour l’heure, seul le grand stade Allianz-Riviera dessiné par le célèbre architecte Jean-Michel Wilmotte est en train de sortir de terre. Voici ce qu’en dit la plaquette de com’ : « Un vrai modèle d’éco-conception et d’éco-construction. L’un des premiers éco-stades au monde au sein d’un éco-quartier. »Les Niçois viennent de découvrir dans la presse qu’un magasin Ikea avait l’intention de s’installer à côté du stade. Un « magasin exemplaire en matière de développement durable » et 350 emplois à la clé, reprend Nice-Matin. Que demande le peuple ?
Gérard Pla, auteur du blog Les Perdigones, craint que les automobilistes ne « pètent les plombs », encore plus qu’aujourd’hui : « Déjà qu’on met une heure et quart aux heures de pointe pour aller de Levens, au fond de la vallée, à Nice, à 18 km... Avec Ikea, ce sera encore plus engorgé. »
Tentative de squats
Etrangement, alors que le chantier du stade est en train de s’achever, la route qui y mène depuis Nice est étroite, dangereuse et encombrée. A l’horizon 2020, il y aura bien un tramway qui remontera le long de la plaine du Var, inséré dans un boulevard urbain, dit « voie de 40 mètres »... qui sera construite lorsque les propriétaires auront été expropriés.En attendant, les supporters n’auront qu’à prendre le bus. Une aberration dénoncée par Gilles Zamolo, supporter en colère : « Le stade ne correspond à aucun des désirs des supporters ni du club, ni l’agencement des tribunes, ni les locaux. Avec 30 000 m2 dédiés au commerce, ce sera un stade avant tout commercial. Et surtout, si l’OGC Nice redescend en D2, on n’arrivera jamais à le remplir et ce seront les contribuables niçois qui paieront la facture. »
Avant de construire la fameuse « voie de 40 mètres » (de large), il faudra raser la maison de Jeanne Venturino. Cette vieille dame se trouve sur le tracé, et même si l’Etat lui propose une autre maison de superficie égale et de qualité équivalente, comme il est obligé de le faire dans ces cas-là, elle refusera l’expropriation.
Elle « squattera » chez elle jusqu’au bout et prête son jardin aux opposants qui y font pousser des fleurs et des légumes. Laetitia Barriera, agricultrice en colère, gère la parcelle de la mamie, invite les opposants à y jardiner, et y voit se dessiner un « Notre-Dame-des-Landes miniature » : une zone de nature à défendre contre le bitume. Une poignée de militants semeurs a tenté d’investir une maison pour s’opposer à l’Eco-Vallée, mais ils ont été immédiatement délogés.
Faux débat et vraie influence
La « concertation » s’est résumée à une soirée-débat avec les citoyens, mais pas de « commission nationale du débat public ». Les multiples demandes de saisine des associations sont restées sans réponse.Dans le périmètre de l’opération d’intérêt national (OIN), c’est l’Etat qui a la main haute sur les permis de construire et qui exproprie afin de vendre les parcelles à des opérateurs privés... au nom de l’intérêt national. Une déclaration d’intérêt national obtenue par le maire Christian Estrosi en personne, lorsqu’il était au gouvernement. Lors de son discours à la villa Masséna, il s’est félicité de son entregent : « J’avoue avoir bénéficié de ma place au ministère de l’Aménagement du territoire (en 2005-2007, ndlr) … pour mon territoire. Est-ce un délit d’initié ? »
Quand bien même c’en serait un, comment se plaindre de la promesse de création de « 20 000 emplois dans six à sept ans » et de celle de « 5 000 logements, dont 40% de logements aidés » ?
« La Sillicon Valley française, on l’a déjà »
Les opposants rencontrés ne s’en plaignent pas. Simplement, ils n’y croient pas. Comme Laurent Parzy, responsable de l’association Aqui Sien Ben : « Notre vraie Sillicon Valley à la française, on l’a déjà, elle s’appelle Sophia Antipolis. Estrosi est jaloux de Leonetti, le maire d’Antibes, et essaie de rapatrier la haute technologie de Sophia chez lui. Si c’est seulement un transfert, ce n’est pas de la création d’emplois... »Cette folie des grandeurs des élus, qui les fait déplacer des ronds-points, construire des routes, et prétendre qu’ils vont réintroduire la nature en ville, c’est tout cela qui agace ces opposants. Alors ils s’organisent pour monter des recours contre les plans locaux d’urbanisme, contre la future piscine olympique, contre les plans de prévention des risques, qui tentent de faire oublier que le Var était bien sorti de son lit en 1994... Laetitia Barriera, l’agricultrice qui défend la mamie, a un plan pour barrer la route au maire : « Ici, les manifs, ça ne marche pas. Il faut informer les gens un par un, leur annoncer qu’ils peuvent résister à leur expropriation, leur rappeler la loi. On est en train de tous se rassembler, et on remontera une ZAD (zone à défendre, sur le modèle de Notre-Dame-des-Landes, ndlr)... après les municipales. »
Cet article de Sophie Caillat a initialement été publié le 29 avril 2013 par Rue89
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