Imaginez un immense échiquier d’environ 24 millions de km2. Sur celui-ci, les pions blancs ont encore la main. Mais les pions noirs, qui jusque là étaient confinés sur les bords du plateau de jeu, avancent inexorablement. Vous l’avez reconnu ? Cet échiquier, c’est l’Arctique, la vaste région enserrant le pôle Nord et qui, depuis quelques années, voit se jouer un nouvel acte de la folle course à l’or noir. Et peut-être même son dernier : devant la fin annoncée des réserves traditionnelles de pétrole, une demande toujours plus soutenue et un prix du baril qui n’en finit pas de grimper, l’Arctique pourrait bien être l’ultime eldorado à cracher du brut, comme du gaz.
Le filon sera-t-il excellent ? Ou quelques maigres millions de mètres cubes goutteront-ils seuls au bout des tuyaux ? Peu importe : en état de manque, c’est l’heure pour les États et les compagnies de sortir les armes lourdes. Estimer les réserves, agrandir ses possessions sous-marines, passer des accords économiques, faire valoir ses « atouts environnementaux »... : les enjeux ne manquent pas.
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Quelles réserves en Arctique ?
Les fonds arctiques sont-ils ou non pleins à craquer ? La question fait débat. Et c’est bien normal ! Ni les États ni les compagnies n’ont envie de révéler l’ampleur des réserves potentielles sur lesquelles ils s’appuient. En 2008, l’United States Geological Survey (USGS) rendait public les premières estimations sur la manne énergétique en sommeil au delà du cercle polaire : 90 milliards de barils de pétrole, 44 milliards de barils de gaz liquide et 48 000 milliards de mètres cube de gaz naturel. Soit 13% du pétrole et 30% du gaz encore à découvrir dans le monde ! La poule aux œufs d’or ? Rien n’est moins sûr : le service géologique américain avoue lui même que la probabilité d’existence de ces barils n’est que de... 50%. Ailleurs, en interprétant différemment la structure géologique de la zone, d’autres scientifiques aboutissent encore à des résultats différents.
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Où se cachent le pétrole et le gaz ?
Les « hot spots » prometteurs sont légion dans l’imaginaire des futurs exploitants : la mer de Barents, la côte nord de l’Alaska, le delta du Mackenzie au Canada, la péninsule Yamal en Russie, le plateau continental russe et sa probable prolongation vers la très convoitée ride de Lomonosov... Sans oublier le Groenland ! Problème : la couverture glacée y restreint encore l’exploration... et fait exploser les coûts. Dans cette province autonome du Danemark, l’USGS estime ainsi que 7,5 milliards de barils pourraient être extraits. Mais les spécialistes américains ont aussi calculé qu’au prix de production de 100 dollars par baril, la limite de rentabilité serait atteinte à 2,5 milliards de barils. Et avec un prix de 300 dollars, à 4,1 milliards ! Autant dire que du côté des exploitants, on voit plutôt d’un bon œil la fonte de la calotte glaciaire du Grand Nord, grande victime du changement climatique.
Carte des réserves potentielles de pétrole ou de gaz
Dans les zones bleu foncé, la probabilité de découvrir au moins un champ de pétrole et/ou de gaz renfermant plus de 50 millions de barils exploitables est de 100%. Dans les zones grises, elle tombe à 10%. Les zones blanches sont des aires à faible potentiel pétrolier.
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Quelles zones sont déjà exploitées ?
Sur le pourtour arctique, on ne fait pas qu’explorer : on extrait aussi déjà ! Le champ de Prudhoe Bay, en Alaska, est exploité depuis la fin des années 70 par le britannique BP et ses partenaires ExxonMobil et ConocoPhillips Alaska. Le gisement de Snøvit, en Norvège, a commencé à produire en 2006 sous la direction de Statoil. Les prochains venus devraient être la station de Chtokman, en Russie, sur laquelle Gazprom et ses filiales sont bien positionnées. Le Groeland a, quant à lui, déjà offert des licences d’exploitation à plusieurs multinationales, sur sa côté ouest, dans la baie de Baffin.
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Qui explore les potentielles réserves ?
Cinq pays octroient les licences d’exploration. Ce sont ceux bordant l’Arctique : États-Unis, Canada, Danemark, Norvège et Russie. Mais de tous les coins du globe, de Chine, d’Europe, de Corée, d’Inde, des Etats-Unis ou du Japon, on joue des coudes pour s’assurer des partenariats d’exploitation avec les pays et les compagnies en place. Dernier « mariage » en date : l’union détonante entre la compagnie pétrolière russe Rosnef et le géant américain Exxon Mobil, scellée le 30 août dernier en vu d’explorer en commun l’Arctique russe. Et oui ! Dans la ruée vers l’or arctique, on copine, on s’échange des cadeaux, on passe des pactes. Dans cet accord, la Russie, tout en bénéficiant de technologies occidentales, se voit aussi ouvrir les portes du Golfe du Mexique et au Texas. L’Oncle Sam, lui, met un pied dans une des régions nordiques les plus prometteuses en terme énergétique.
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Quels risques pour l’environnement ?
Que des gagnants dans cette affaire ? Pas vraiment : l’environnement, lui, pourrait bien payer le prix fort. En 1989, on avait vu les dégâts que pouvaient causer 250 000 barils de brut déversés dans le Golfe d’Alaska, à la suite du naufrage de l’Exxon Valdez. L’exploitation future du Grand Nord met l’Arctique devant un problème bien plus important. Comment des missions de dépollution pourront-elles être lancées en cas d’accident, sans base logistique locale et dans des conditions polaires difficiles ? Quels dégâts seront provoqués par le pétrole piégé sous les glaces ? Qui s’inquiétera des conséquences sur la faune et la flore de ces zones « invisibles » aux yeux des régions habitées ? Et l’extraction se fera-t-elle bien selon des règles respectueuses de l’environnement ? Sur ce point, la Norvège insiste pour que les forages se fassent selon sa propre expérience et ses normes écologiques. Mais dans une logique de rentabilité et de course contre la montre, les exigences environnementales pourraient bien être la dernière roue du carrosse...
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