Les sous-sols algériens regorgent de promesses. Selon les estimations du département américain de l’Energie (DoE), le pays détiendrait les troisièmes plus importantes ressources de gaz de schiste au monde. Privées de fracturation hydraulique dans l’Hexagone, certaines compagnies françaises, GDF Suez en tête, ont déjà annoncé leur intention de s’y déployer. Fin 2012, Laurent Fabius envisageait même un accord ouvrant la voie à des recherches françaises sur le territoire algérien. Attendu sur cette question lors de sa récente visite à Alger, le ministre des Affaires étrangères s’est finalement montré plus timoré. « Le gouvernement algérien est souverain dans ses décisions », a-t-il déclaré. Lesquelles vont plutôt dans son sens : le 21 mai, le président Bouteflika a donné son feu vert à l’exploitation du gaz de schiste. Abderrahmane Mebtoul est économiste et ancien conseiller auprès du ministère de l’Energie algérien. Il fait le point sur les perspectives d’exploitation du gaz de schiste en Algérie et sur le rôle que la France pourrait y jouer.
Terra eco : Pourquoi l’Algérie, troisième producteur pétrolier du continent africain, se lance dans le gaz de schiste ?
Abderrahmane Mebtoul : A l’horizon 2030, l’Algérie ne produira plus assez de pétrole plus honorer ses engagements à l’export. Dans cette perspective, il est normal que le pays diversifie son mix énergétique. Cela passe par des investissements dans les énergies renouvelables - le gouvernement a annoncé le déblocage de près de 100 milliards de dinars (930 millions d’euros) à l’horizon 2030 - et par la construction de centrales nucléaires, 2 doivent voir le jour d’ici à 2025. Le gaz de schiste fait partie de cette stratégie de diversification, mais le ministre a prévenu qu’il n’y aura pas de commercialisation avant 10 ou 15 ans.
Ce choix vous parait-il judicieux ?
Un gros doute plane sur la rentabilité de cette ressource. D’anciens pédégés de Sonatrach, l’entreprise publique en charge des hydrocarbures, disent ne pas être convaincus. En Algérie, creuser un puits pour extraire du gaz de schiste coûte entre 15 et 20 millions de dollars (11 et 15 millions d’euros). C’est près de trois fois plus cher qu’aux Etats-Unis. Cette différence s’explique par la localisation des six zones d’extraction identifiées : en plein Sahara. Les compagnies vont buter sur le manque d’infrastructures, notamment de canalisations, et les problèmes d’enlisement. Or la durée de productivité d’un puits ne dépasse pas 5 ans. Pour que l’activité se développe, il va falloir en forer des centaines.
Cette perspective suscite-t-elle des craintes en matière d’environnement ?
Bien sûr. Depuis l’annonce du gouvernement, la société civile est très mobilisée. Dans le Sud du pays les manifestations se multiplient pour dénoncer les risques de pollution. Mais l’eau reste le problème majeur. Pour extraire un milliard de mètres cubes gazeux, il faut un million de mètres cubes d’eau douce. Cette eau, nous l’avons. Les nappes phréatiques contiennent 45 milliards de mètres cubes. Mais exploiter cette ressource pose deux problèmes de taille. Premièrement, elle n’est pas renouvelable. Deuxièmement, elle ne nous appartient pas exclusivement. Si on perfore des bassins d’extraction identifiés à l’est on tombe dans des nappes phréatiques qu’on partage avec la Tunisie ou la Libye. Si on s’attaque aux bassins de l’ouest on va devoir composer avec le Maroc. La question pourrait devenir diplomatique. Idem en cas de pollution puisque les produits chimiques ne s’arrêteront pas aux frontières.
Craignez vous que les entreprises étrangères fassent main basse sur le gaz de schiste algérien ou se servent du pays comme d’un terrain d’expérimentation ?
Après British Petroleum (BP), plusieurs entreprises étrangères comme Shell, Total ou GDF Suez se sont en effet montrées intéressées. Si mes informations sont bonnes, un appel d’offres pour des activités de prospection sera lancé dans les mois à venir. Ces entreprises vont évidemment postuler. Pour autant, le gouvernement algérien aura toujours son mot à dire. Tout permis de forer devra repasser devant le conseil des ministres avant de devenir effectif. Par ailleurs, la règle des 49/51 % régit toujours l’investissement étranger en Algérie. Même s’il est question de l’assouplir, pour l’heure le gouvernement algérien doit être majoritaire dans tout projet impliquant un investisseur étranger. Quant à la mise en œuvre de nouvelles méthodes, fracturation sèche ou au propane, tout ce qu’on sait pour l’instant c’est qu’elles sont trop chères pour être généralisées.
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