Février 2013. Arnaud Montebourg dégaine sa nouvelle arme. Après la voiture électrique, et la marinière, le ministre du Redressement productif assure que le gaz aussi peut être made in France. Mais pas n’importe quel gaz. L’homme parle là du gaz de houille : produit lors de la transformation de la matière végétale en charbon et composé majoritairement de méthane, il est plus communément appelé grisou.
Attention à ne pas confondre gaz de houille et de mine. Le premier est issu de gisements de charbon non exploités, le second est récupéré dans d’anciennes galeries minières exploitées. En France, si le gaz de mine est pompé depuis 1992 dans l’ancien bassin du Pas-de-Calais, le gaz de houille lui, n’en est encore qu’à ses balbutiements. C’est la société European Gas Limited (EGL) qui détient aujourd’hui la majorité des permis français d’exploration : dans le Nord-Pas-de-Calais, la Lorraine, la Provence-Alpes-Côte-d’Azur ou encore la Franche-Comté (voir notre carte). Mais c’est seulement en Lorraine que la société a commencé à forer pour tâter la roche. Le début d’une grande aventure ? Pour Arnaud Montebourg, le gaz de houille est une manne. Outre qu’il pourrait, « assurer à la France entre cinq et dix ans de consommation » (voir encadré au bas de cet article), il peut s’extraire sans recourir à la fracturation hydraulique, précisait-il en février. Mais est-ce vraiment le cas ?
Problème de rentabilité
Pas sûr à en croire un rapport publié ce mardi par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris). S’appuyant sur les données des pays producteurs, notamment les Etats-Unis, le Canada, l’Australie ou la Chine, les auteurs précisent : « La possibilité de développer une exploitation rentable à grande échelle sans recourir à une fracturation préalable du massif rocheux reste à confirmer. » Car dans la plupart des cas, la roche est trop peu perméable, il faut donc la casser pour extraire le gaz. « Les nombreuses tentatives d’exploitation faites en Europe sur des massifs “vierges” et n’ayant pas abouti faute de productivité des forages confirment la faible perméabilité des charbons européens », assure encore le rapport.Problème : la fracturation hydraulique est interdite en France. Reste sa petite sœur : la stimulation. Le rapport distingue très précisément les deux techniques. Avec la première, explique-t-il, on injecte « sous haute pression de grandes quantités de fluides » mêlés à des adjuvants « qui empêchent les fissures créées de se refermer trop rapidement ». La seconde consiste à « stimuler » avec de l’eau ou autres substances (mousses, gaz…) mais sans ajouter d’adjuvants. « La stimulation consiste à ouvrir des fractures existantes, la fracturation hydraulique à en créer de nouvelles », détaille Didier Bonijoly, directeur adjoint des Géoressources au BRGM et co-auteur du rapport.
Stimulation ou fracturation light ?
La différence est subtile, elle l’est aussi pour l’Etat. « La loi (du 13 juillet 2011, ndlr) ne définit pas la fracturation hydraulique. Il peut y avoir interprétation dans un sens ou dans l’autre. On ne sait pas dans quelle mesure la stimulation visant à produire des hydrocarbures pourrait entrer dans son cadre », s’interroge Didier Bonijoly. Dans un article publié en septembre par Terra eco et portant sur les gaz de schiste, Delphine Batho, ex-ministre de l’Ecologie, dénonçait déjà les tentatives d’euphémisme avancées par l’industrie : « Le raisonnement sur la fracturation hydraulique light est fallacieux. Il y a des agences de com qui ont travaillé là-dessus. L’industrie du tabac a inventé la cigarette light, c’est pareil avec la fracturation hydraulique light : on vend un nouveau packaging. »En France, la question ne se pose pas… encore. Puisqu’en Lorraine, où EGL a commencé à forer, « la société dit qu’elle n’utilise pas de fracturation hydraulique et elle peut le dire au vu des conditions très particulières du gisement de charbon qu’elle explore », souligne Didier Bonijoly. En clair, sur ce gisement, la « roche forme un grand pli, comme le pli d’un genou. A la charnière, elle est fracturée, et le grisou qu’elle contient peut être drainé sans qu’on ait besoin de fracturation hydraulique », assure-t-il. Le directeur général d’EGL, Frédéric Briens, ne disait pas autre chose à Science et Avenir en janvier : « Ce grisou peut être extrait grâce à des techniques qui n’ont rien à voir avec la fracturation hydraulique du gaz de schiste. » Mais ailleurs ? Car EGL détient aussi des permis dans le Nord, le Jura, près de Marseille… : « Dans les zones plates, peu déformées, la fracturation naturelle est faible, Dans les zones plates, peu déformées, la fracturation naturelle est faible, l’exploitation sera-t-elle rentable sans avoir recours à la stimulation préalable de la roche ? », s’interroge Didier Bonijoly.
Et les risques ?
Stimulation, fracturation. Dans les deux cas, les risques existent. Certains sont « inhérents à la production de tous types d’hydrocarbures », assure l’expert du BRGM. C’est le cas des fuites potentielles sur les pipelines ou les installations qui transportent ou stockent le gaz. Le cas aussi des remontées possibles de gaz à la surface le long du forage ou de contamination des nappes phréatiques. « Ce qui est spécifique au gaz de houille en revanche, c’est qu’il y a souvent de l’eau déjà présente dans les gisements. Une eau que l’on est obligée de pomper avant de récupérer le gaz. Ce pompage risque de déprimer les nappes associées donc de réduire les ressources potentielles si celles-ci sont utilisables. On risque aussi de récupérer de l’eau non potable qu’il faudra traiter avant de la rejeter dans la nature », précise Didier Bonijoly.Autre problème pour Adeline Mathien, chargée de mission Energie pour France Nature Environnement : « Nous n’avons aucune idée du bilan carbone de l’exploitation du gaz de houille. La France a besoin de gaz pour assurer sa transition énergétique mais pas forcément de gaz fossile. Le souci c’est qu’il n’y a pas vraiment de volonté politique de faire autre chose, comme du biogaz. »
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